Pour beaucoup New York c’est d’abord Manhattan, pourtant au sud de Brooklyn se niche une péninsule au charme suranné et irréel, Coney Island, à la cacophonie colorée. Années 50, au cœur du parc d’attractions enluminé, face à la grande roue qui domine fièrement la longue promenade en bord de plage où badauds et locaux aiment à musarder, échoue Ginny, la nouvelle héroïne tragique de Allen. Jeune elle rêvait d’être actrice. Son destin en a décidé autrement.
A l’approche de la quarantaine, elle suffoque à la tête d’une famille dysfonctionnelle, coincée entre un fils pyromane impossible à canaliser et un mari bedonnant qui la dégoûte profondément. Les odeurs de maïs soufflé, de hot dog, de barbe à papa, les rires et cris des enfants, le bruit perpétuel de « Wonder wheel » ajoutent à son écœurement qu’elle tente de noyer dans l’alcool faute de se laisser emporter par l’onde marine. Serveuse de jour, esclave la nuit, la voilà qui se prend à rêver d’ailleurs galvanisée par son idylle naissante avec Mickey de 10 ans son cadet. Seul hic l’arrivée intempestive de sa belle-fille Carolina – venue trouver refuge chez un paternel l’ayant autrefois rejetée pour ses mauvaises fréquentations – qui fera battre encore plus fort le cœur du beau maître nageur en mal de sensations fortes. Un air de déclin souffle sur la pellicule, de nostalgie que viennent renforcer les jeux de lumières artificielles rouges et orangées absolument fabuleux imaginés par Vittorio Storano. Son idée pour le projet : associer deux registres chromatiques distincts pour chacun des protagonistes féminins . « Pour moi, dira t-il on peut utiliser la lumière et la couleur comme des notes dans une partition musicale ou des mots dans un scénario. Il existe une physiologie de la couleur : un ton très chaud peut augmenter la métabolisation de l’organisme ou la tension artérielle, et à l’inverse, un ton très froid peut les diminuer. J’ai donc associé tous les tons chauds (jaune, orange, rouge) à Ginny et j’ai identifié Carolina à une gamme de bleu clair. Ces deux palettes sont comme deux personnages et Mickey est pris en étau entre elles – il reflète la palette du personnage dont il est proche à tel ou tel moment. » Ce jeu de couleurs savamment maîtrisé rend le film esthétiquement parlant impeccable.
Autre surprise de taille, le personnage de Ginny inscrit dans la droite lignée des héroïnes alléniennes complexes et perturbées, formidablement campé par Kate Winslet, jamais caricaturale, toujours crédible et émouvante, incroyablement maîtresse à s’approprier le quotidien sordide d’une quadra à la dérive.
Avec Wonder Wheel, la fête foraine se mue progressivement en fête funèbre, en drame poisseux à la Tennessee Williams. Un excellent Woody Allen qu’il est toutefois difficile de regarder sans penser à la vie intime d’un réalisateur marqué aujourd’hui au fer rouge par de multiples scandales.
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