De la poésie à l’image, de la magie dans les mots, de la noirceur un peu dans l’âme aussi ou peut-être pas. Juste une vision du monde, d’un monde. Celui de Will. McLabre qui expose en ce moment à La Défense. Rencontre avec un passionné de la photographie.
Luzy : Raconte-nous comment tu en es venu à la photographie ? Quelles furent tes influences ?
W. McL : Mon grand-père était photographe-journaliste à la voix du Nord. J’ai conservé son appareil photo (à l’époque un Kodak Retina F). Je ne l’ai pas connu personnellement mais j’ai été très tôt fasciné par son travail. On peut dire que ce fut le premier à me donner le goût de la photographie. J’ai également eu la chance d’avoir un père directeur d’un centre de loisir qui offrait la possibilité d’avoir accès à un labo photo. C’est dire que j’ai pu aisément faire photos, développements et tirages dès le plus jeune âge et que je m’en amusais. Puis j’ai acheté mon premier appareil à 15 ans. Plus tard j’ai fait l’EFET à Paris, une école qui m’a permis d’apprendre les bases photographiques en studio et la gestion des reportages.
Pour ce qui est des influences, très vite Willy Ronis, Robert Doisneau et Michael Kenna sont devenus des modèles pour moi. Surtout Michael Kenna d’ailleurs dont l’art de la photographie réside dans ses prises de vues de paysages sombres, ses ambiances pictorialistes utilisant la brume à la manière de Turner ou le romantisme d’un William Blake. Ce qui l’intéresse avant tout ce sont les accidents photographiques, la part de l’imprévu dans la photo et l’interprétation qui va avec. Cette philosophie me parle beaucoup. Ansel Adams également, et ses « noir et blanc » en chambre grand format, m’a beaucoup influencé.
Luzy : Es-tu plutôt noir et blanc ou couleur ? Argentique ou numérique ?
W. McL : Plutôt noir et blanc. La couleur étant susceptible d’entraîner la visualisation de facteurs perturbants dans l’image que le noir et blanc estompe. Avec le noir et blanc, on est vraiment face à l’image brute. Cela permet d’entraîner le regard de l’observateur sur les éléments que tu veux lui amener à voir sans artefact. Le photographe voit en couleur mais doit réfléchir en noir et blanc. J’ai cette philosophie du noir et blanc. Beaucoup d’amateurs pensent qu’une photographie noir et blanc est une photo couleur ratée. Or c’est totalement faux. Le noir et blanc est un art à part entière et doit être pensé dès la prise de vue.
Je me suis toutefois cette année beaucoup amusé avec une série de photos couleurs lors de mon voyage en Ecosse, splendide territoire pour ses variations de nuances, ses paysages incroyables, sa nature généreuse. Voici d’ailleurs une vision photographique qui m’a largement inspiré :
La photo était assez simple à réaliser… je me trouvais dans le ferry, il pleuvait. J’avais déjà repéré la maison blanche, mais la lumière manquait. J’ai observé le ciel, les nuages, et soudain la lumière entre en scène ! Mon cadrage en tête je n’avais plus qu’à déclencher, j’avais tous les éléments pour ma photo. Mes trois couleurs primaires étaient présentes, le bleu du ciel, le vert de la pelouse et une pointe de rouge de la remorque; Le sujet principal la maison blanche rappelant les nuages.
Quant à mes préférences pour le numérique ou l’argentique, si le numérique a rendu la photographie plus abordable, l’argentique reste un vrai plaisir. Celui de découvrir l’image, sensation qui n’existe plus avec le numérique qui offre une image immédiate et jetable.
Luzy : Justement aujourd’hui la photo est devenue jetable, on prend un cliché sans avoir peur de l’échec puisque l’on sait que la technologie permet de recommencer. Selon toi quelles sont du coup les nouvelles difficultés que peut rencontrer celui qui photographie ? Le numérique a-t-il offert la possibilité à tout le monde d’être photographe ?
W. McL : Les difficultés de nos jours, malgré la possibilité de retouche qu’offrent les nouveaux logiciels et les technologies modernes, sont liées au fait que le photographe néophyte n’a pas forcément les notions de base de la photographie, à savoir l’art du cadrage, la gestion du contre-jour, la maîtrise de l’exposition. Beaucoup se pensent photographes mais être photographe ne s’improvise pas vraiment. Au-delà de la partie technique toutefois, il y a le regard artistique qui compte beaucoup. Là aussi on l’a ou on ne l’a pas mais il faut le peaufiner. Le fait de réaliser en permanence des photos affine ce regard et permet de progresser, d’améliorer, de contempler le monde autrement. La photo est aussi une histoire de temps.
Luzy : Et que penses-tu des clichés pris via les smartphones que certains considèrent au même titre que la photo classique ? Selon toi peut-on faire de l’art avec un mobile ? Et qu’apporte la photo mobile par rapport à la photo plus traditionnelle ?
W. McL : Pour appuyer ce que je te disais plus haut, ce n’est pas l’appareil photo qui fait le photographe. Le smartphone peut produire de très belles choses. Il est d’ailleurs amusant de voir que parfois les individus ne font pas la différence entre photos classiques et clichés Iphone tant la qualité artistique peut être similaire. Tout repose sur l’art de celui qui possède l’appareil en main, ainsi que sur son regard artistique.
Luzy : Selon toi qu’est-ce qu’un bon photographe ?
W. McL : Un bon photographe selon moi, c’est un photographe qui connait bien son appareil photo, qui sait observer la lumière, qui a déjà trouvé son cadrage sans avoir mis l’œil dans son viseur, qui déclenche très peu, qui sait attendre le bon moment, qui sait déjà comment son image sera au final, et qui sait transmettre des émotions par ses images.
Luzy : Certains de tes clichés abritent « la mélancolie d’instants oubliés », est-ce un désir de retour aux vieux clichés qui gardent un charme désuet ? La nostalgie du passé ?
W. McL : Un peu des deux. Prendre le temps de la photographie est important. Avec un argentique il faut faire des réglages. Cela demande du temps de construire une image. Tu cumules avec le plaisir de posséder un vieil objet en main et le plaisir de l’échange avec les badauds qui viennent parfois te poser mille questions sur ce que tu fais et tout y est !
De plus l’argentique rend les autres confiants. On se laisse plus facilement photographier avec un argentique. L’immédiateté de la photo que l’on craint parfois de voir publier instantanément sur les réseaux sociaux en tout genre ne fait ici plus peur.
Luzy : On sent dans ces photos quelque chose de burtonien, un univers à la Sleepy Hollow esthétique et magique mais un peu flippant à la fois (une sorte d’atmosphère de films d’épouvante), est-ce que Burton t’a influencé ? Quel est ton rapport à cet artiste ? Connais-tu ses dessins ?
W. McL : J’ai effectivement beaucoup été influencé par Tim Burton. J’aime son univers fait de sombre. Ses ambiances noires et poisseuses, angoissantes à souhait tout en restant esthétiques. Malgré son univers noir, ce type dégage quelque chose de vraiment zen. Sûrement a-t-il des peurs cachées qu’il extériorise dans son art ? Un peu comme je le fais aussi mais plus modestement bien sûr. C’est cathartique. Je connais ses dessins et son cinéma, pas de manière exhaustive mais ce que j’en ai vu m’a immédiatement parlé.
Pour mon exposition j’ai choisi de mettre en avant cette photo d’un arbre que j’ai intitulée « Le majestueux », inspirée directement de ce qu’il peut produire :
Un hêtre magnifique, imposant, s’élevant de toute sa hauteur,
Qui suis-je pour venir te déranger ?
Petit homme je me pose devant toi, l’oeil collé au viseur de mon appareil photo.
Je t’affronte ! Tes racines ne me font pas peur.
Mais un bruit, un craquement et le sentiment d’être emporté par tes longs bras m’envahit…
Tel l’arbre de Sleepy Hollow, combien d’hommes as-tu dérobés sous tes tentacules ?
Luzy : Quels sont tes projets désormais ?
W. McL : Un prochain voyage à New-York avec des amis photographes, un challenge pour moi car la photo de rue n’est pas mon fort. J’aimerais exposer plus souvent, dans différents endroits, cela prend du temps mais c’est très plaisant de montrer son travail et discuter avec les amateurs ou collectionneurs de photographies.
Quelques clichés :
Cascade
Arbres au vent
Apocalypse
La Tour
En savoir plus :
> Consulter le site Internet de l’artiste
Will. McLabre – Mélancolie d’instants oubliés
24 juin au 2 octobre 2015
Maison d’église Notre-Dame de Pentecôte
1, Place de la Défense
RER / Metro 1 : Grande Arche – Sortie F (Calder-Miro)
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