Portraitiste hors pair, Marchal Mithouard aka SHAKA est un artiste français issu de l’art urbain. Sa technique : intégrer à ses œuvres des éléments qu’il sculpte directement sur toiles pour donner un sentiment unique qu’elles viennent à notre rencontre. Fragmenter ses visages pour capter les expressions les plus crues, mettre en lumière l’absurdité des comportements humains, un leitmotiv qui lui vaut le titre d’artiste avec un grand « A ». Rencontre avec une figure du street art.
On retrouve un peu de Georges BRAQUE et Picasso dans ton art. Le cubisme, la déconstruction des objets et des formes ré-assemblées en une composition disons « abstraite », peux-tu nous dire en quoi ces deux peintres ont été (ou pas) une influence? Qu’est-ce qui t’intéresse dans la dématérialisation de la forme primaire?
SHAKA : Il est difficile en effet de faire l’impasse sur le cubisme surtout si on est amateur d’art. C’est un mouvement emblématique. Toutefois je tiens à souligner que ma démarche n’est pas tout à fait la même. Là où leur façon de déconstruire consiste à mettre plusieurs perspectives sur un seul et même plan, mon approche à moi est de redessiner le volume des corps sur un plan 2D (ou en sculpture) de façon à exacerber la perspective grâce à un travail géométrique complexe créant grâce à ce système réticulaire de formes une dynamique anatomique. Mon dessin s’est surtout nourri de mes premières sculptures (et inversement) puis s’est petit à petit géométrisé. On peut percevoir mes personnages comme momifiés, en tout cas c’est ce que j’ai entendu dire de mon travail. Pour autant, ce n’était pas le but à la base. Mon désir était plutôt de construire des personnages composés d’une multitude de pièces qui peuvent se traduire comme une représentation de la psyché humaine, un mélange de forces et de faiblesses. Si on enlève une pièce ou deux dans la composition, tout peut s’écrouler.
Est-ce une expression de la souffrance également ?
SHAKA : La souffrance s’exprime plus dans la représentation, les positions notamment dans lesquelles se trouvent les personnages. Je m’inspire beaucoup de scènes récurrentes de l’antiquité ou de la mythologie dans mes œuvres pour livrer des visions personnelles de notre quotidien et de la société dans laquelle on évolue. Je ne cherche pas à montrer les choses de manière frontale. Je m’inspire entre autres de Caravage et des compositions de peintres classiques de la renaissance.(…). Je m’efforce de dépeindre la condition humaine montrer ce qui peut générer la souffrance. Les choses problématiques auxquelles ont potentiellement à faire face les Hommes et la société qui peuvent mener à de la souffrance.
La vie est souffrance mais existe-t-il un ailleurs meilleur selon toi ? Du coup quel est ton rapport à la religion ? A en croire ta peinture sur la traversée du Styx, il y a tout lieu de penser que tu crois plus en l’enfer que au paradis ?
SHAKA : Je ne crois ni en l’enfer, ni au paradis. Je ne crois pas en un « au-delà » tel que véhiculé par les religions. Le libre arbitre est très important dans ma démarche. Je me nourris de beaucoup d’ouvrages d’art et d’histoire. Je trouve qu’actuellement il y a un retour un peu flippant à la pensée unique où la vérité ne se trouverait que dans un seul livre. En l’occurrence dans les religions monothéistes, c’est un peu le message que cherchent à faire passer les instances religieuses, celui d’une vérité unique. Je n’y adhère absolument pas car trop infantilisant. La spiritualité est importante dans la vie d’un homme, tout le monde a besoin de spiritualité mais la manière dont on nous présente les choses dans nos civilisations occidentales ne me plaît guère. Elle est source d’individualisme plus que de solidarité. Or justement j’ai tendance à penser que quand les gens se rejoignent et s’accordent notamment autour d’une cause, ils mettent souvent de côté leurs dogmes pour s’inscrire dans quelque chose disons de plus païen/ laïc, dans des valeurs républicaines. Là ça fonctionne. Il y a communication et union. La religion doit s’inscrire selon moi dans une démarche personnelle propre à chacun. Une démarche un peu comme pouvait l’avoir les civilisations très anciennes, les indiens d’Amérique par exemple ou les indiens d’Amazonie dont les rites étaient tournés vers la terre, le ciel, l’eau. Des choses plus saines et finalement moins violentes.
Loin des clichés et de la pensée unique, tes œuvres justement laissent la part belle à l’imagination, permettent aux gens la réflexion, la liberté d’interprétation, pourquoi alors as-tu fait le choix de leur donner un titre ? Ne crois-tu pas que cela puisse orienter ?
SHAKA : Je donne un titre à chacune de mes œuvres quand il y a lien avec l’histoire de l’art ou de la mythologie – c’est vrai – mais jamais de manière trop frontale. Je suis convaincu qu’à être trop dans la réalité on ne laisse plus de place à l’imaginaire. Donner une vision hyper réaliste ou trop photographique des choses n’a selon moi aucun intérêt. Le but en tant qu’artiste est donc d’avoir une écriture suffisamment forte pour que les gens puissent interpréter à leur façon, qu’ils puissent s’approprier l’œuvre.
Il y a une vraie révolte dans ta peinture, des corps torturés, des visages en souffrance ou en colère, des personnages qui semblent sortir du cadre de la toile, contre quoi te rebelles-tu?
SHAKA : Je me rebelle contre l’uniformisation, la mondialisation de la culture et de la pensée. Tout cela me fait flipper en fait. Pourtant les revendications sociales (à travers les gilets jaunes mais pas que) laissent à penser que les gens ont de plus en plus besoin d’un retour aux sources, à des identités plus locales. Ce n’est d’ailleurs pas malsain du tout, ni même un repli sur soi, non, c’est juste une manière de préserver la diversité. Les voyages engagent à ce genre de choses, à s’ouvrir aux autres, au monde, à la différence. Voyager c’est sortir des codes, éprouver des sensations fortes tournées vers autre chose que son petit confort personnel.
Et toi alors personnellement, où trouves-tu ces choses qui te surprennent ?
SHAKA : Je n’ai pas besoin d’aller très loin en fait. En Ariège déjà (là où je suis en vacances actuellement), je trouve des gens qui vivent différemment qu’à Paris ou dans les grandes métropoles et ça fait du bien. Sinon, en effet il faut voyager pour s’émerveiller, aller vers d’autres cultures pour trouver la différence. C’est super sain en fait. En France nous avons conservé quand même l’esprit de diversité. Il existe une forme de fierté à avoir une France multiple. C’est une richesse. La seule culture malheureusement qui risque de prendre le pas sur les autres c’est la culture mondialiste. L’artiste lui est dans cette recherche de quelque chose de singulier. Pour émouvoir de manière positive ou même négative il faut se différencier, aller chercher « au plus profond de ». Se met alors en place une signature, un langage unique qui apporte quelque chose à l’observateur, déjà juste une interrogation. Moi c’est ce qui me pousse à faire ce que je fais depuis tout gamin déjà. Et ce qui m’a toujours frappé c’était de regarder tout-petit les œuvres de Rembrandt ou Van Gogh empreint d’une touche de liberté, une touche de réalisme mais d’une singularité incomparable. Quand j’exerce mon art aujourd’hui je retrouve mes yeux d’enfant, ceux avec lesquels je regardais ces œuvres. Cela a toujours été un moteur pour moi.
J’ai lu en parcourant ton chemin que le Brésil t’avait marqué, parcourir ce pays a-t-il contribué également à t’apporter ce regard singulier sur les choses ?
SHAKA : Le street art apporte une chose formidable, la possibilité de voyager à moindre coût et d’aller à la rencontre de l’autre. Au Brésil les planètes étaient comme alignées. J’y ai pris mon temps, le temps de la rencontre. Un vrai choc des cultures. Le Brésil m’a ouvert les yeux et l’esprit aussi. Un voyage splendide que je conseille à tous. Mais au-delà du Brésil, je fais surtout encore une fois l’apologie du voyage en général. Lorsque j’enseignais au collège (Marchal a été professeur d’arts plastiques dans différents quartiers de l’Essonne) j’invitais mes élèves à s’inscrire dans ce type de projet. Force est d’ailleurs de constater que les plus ouverts d’entre eux étaient ceux qui avaient voyagé quelle que soit la nature du voyage d’ailleurs. Voyager peut « sauver », permet de sortir d’un carcan social dans lequel on est cantonné. Voir le monde et donc relativiser. S’armer, mettre de côté tous ses préjugés. Voyager transforme tellement que tout le monde devrait le faire.
Ta peinture est colorée. Couleurs chaudes et froides s’y côtoient harmonieusement, en toute complémentarité. J’aimerais en savoir plus sur ton travail autour de la matière et sur les effets que la chaleur produit sur cette matière ? Que cherches-tu à montrer ?
SHAKA : Au début, la couleur était ma motivation principale. L’association de couleurs chaudes et froides bien sûr mais aussi toutes les nuances de gris, de couleurs « terre ». On obtient de belles associations avec les mélanges. Pour en revenir à mes compositions, j’ai voulu intégrer aux formes géométriques qui s’enchaînent dans la représentation des corps en décomposition de mes tableaux (dans le sens de décomposition du mouvement et non de détérioration) l’idée de physique quantique. Les principes de physique quantique m’ont permis de m’interroger sur la couleur. Qu’est-ce qui donne la couleur aux choses ? Comment fonctionnent toutes ces ondes lumineuses qui nous parviennent du soleil et qui sont réinterprétées par notre rétine ? Au départ je me suis intéressé au domaine de la lumière visible. En utilisant différents médiums, je dépeignais les chemins que pouvaient emprunter les ondes lumineuses (qui font l’objet d’un système de codage informatique universel nommé RVB) avant d’être interprétées par notre rétine. Mais les ondes lumineuses représentent une petite partie du spectre électro magnétique. J’oriente actuellement mes recherches sur des fréquences plus basses que sont les infra rouges. Je m’intéresse au rayonnement de la matière, sa capacité d’absorption et d’émission de la chaleur. Mon objectif est d’obtenir de l’invisible une version « rétinienne » par la luminance énergétique spectrale de la matière, c’est-à-dire le flux énergétique émis par cette dernière.
Pour cela, je m’efforce de référencer, d’analyser, d’organiser et de retranscrire le comportement de la matière en fonction du rayonnement des ondes électromagnétiques sur sa surface. Cela se traduit par la réalisation de sculptures, de bas-reliefs et de peintures composées de différents matériaux, de circuits électriques. L’objectif est de créer une palette chromatique à l’aide d’une caméra thermique afin de révéler une vision singulière de l’invisible. Suivant la température ambiante dans laquelle chaque œuvre se trouve, cette palette évolue mais les valeurs restent sensiblement identiques car d’après la loi du rayonnement de Kirchhoff, la capacité d’absorption et la capacité d’émission de rayonnement thermique d’un corps sont proportionnelles pour toutes les longueurs d’ondes. Le spectre mis en place ne dépend d’aucun paramètre que de la température. L’idée est de faire état des transformations opérées sur la matière par les ondes ainsi que de montrer par mon travail que la matière (même inerte) est vivante. La chaleur que l’on émet est le vecteur de ces transformations dans notre environnement. Je les enregistre et je les révèle en recréant l’impression d’ombre et de lumière grâce à la température ambiante d’un lieu. Chaque œuvre propose deux lectures en deux représentations : l’une par la sculpture, la peinture ou le bas-relief (notre vision rétinienne), l’autre par l’impression numérique de la vue de la première à la caméra thermique (l’invisible perceptible). Cette dernière peut également nous permettre de nous libérer de nos jugements de valeurs intrinsèquement liés à nos sens en essayant de retrouver cette sensation de chaleur par le touché et ainsi comprendre l’algorithme qui permet à la machine d’attribuer une couleur à chaque matériau, suivant la température qu’il y a à sa surface. Je mets toujours de l’intention dans mon travail tout en délivrant une part d’esthétique. Je suis un plasticien/artiste qui cherche l’émotion au- delà de tout. C’est d’ailleurs de manière générale le rôle d’un artiste.
Où peut-on découvrir le travail de Shaka en fait ? Dans les rues de Paris ? De Tokyo ? En galerie ? Avec qui travailles-tu ?
SHAKA : Je travaille à Paris avec la Galerie Lazarew qui est ma galerie de référence. Avant je travaillais pour une galerie à New York City mais elle a fermé. J’y ai fait 2 solo shows en 2012 et 2015. J’ai aussi bossé avec une galerie à Los Angeles, une en Allemagne à Munich, une autre à Mulhouse. Je me suis inscrit dans de beaux projet notamment l’année dernière avec la 1ère biennale d’Art urbain qui a eu lieu au Centre européen d’art et de culture industrielle « Die Hütte » sis à l’ancienne place d’une usine sidérurgique à Völklingen. Le lieu est incroyable. 60.000 m² de friches réhabilitées, des passerelles partout, un lieu d’exposition excellent ! J’étais vraiment heureux d’avoir été sélectionné et de pouvoir travailler avec de telles personnes.
Un autre projet qui n’a malheureusement pas vu le jour mais qui m’a tenu à cœur pendant un moment : j’avais été retenu par la Mairie de Paris pour peindre un mur du 4 eme arrondissement à côté de Beaubourg et de la Fontaine Stravinsky. Le projet est tombé à l’eau. Le street artiste ayant réalisé la fresque sur la gauche du mur a fait capoter le projet pensant que ce dernier allait dénaturer son œuvre. Pas très fair-play quand on pense que nous sommes sur de l’art de rue. Mais tant pis ! Ainsi va la vie. Je ne manque de toute façon pas de projets. Dernièrement je me suis positionné sur 2 appels à projets dont un est en train de se concrétiser. Par ailleurs je suis soutenu par des collectionneurs qui me suivent depuis mes débuts pour certains. Galeries, projets pour des institutions, commandes de fresques, cela crée un tout qui fonctionne bien.
Caméra infra rouge – SHAKA
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