L’écume des jours. Une rencontre étrange avec un langage, de la poésie, un univers fantasmé et absurde. L’absurdité dans laquelle je me plongeais pleinement à l’époque où Kafka, Ionesco et Vian nourrissaient mes pensées de leur esprit inventif et libre, de leur don pour la provocation et le non-sens. Poussant le vice jusqu’à la rencontre avec Vernon Sullivan, je laissais même Vian me malmener doublement. D’abord en me trompant avec ce patronyme inventé pour servir sa cause, ensuite parce que justement je pris plaisir à succomber au côté obscur de ses écrits et me perdais dans J’irai cracher sur vos tombes.
Mais de la Java des Bombes Atomiques à la Complainte du Progrès, toutes les inventions amusantes de l’artiste – tourniquette à faire la vinaigrette, pistolet à gaufres, repasse-limace et autre ratatine ordure – s’imposèrent d’abord en chanson convoquant des images venues du fin fond de mon imaginaire galvaudant sans aucun doute celui de leur propre inventeur. Mais après tout n’est-ce pas l’effet voulu par l’auteur? Celui de laisser libre cours à l’imagination de chacun afin qu’il s’approprie un univers irréel et le transforme selon sa volonté en véritable machine à rêves.
Par exemple, le nénuphar, tumeur métaphorique, que Chloé sent grandir dans ses poumons et lui ôter chaque jour un peu de son souffle de vie, je l’avais transformé en orchidée blanche. Pourquoi orchidée me direz-vous alors qu’il s’agit d’un nénuphar? Parce que le nénuphar me plaît par sa sonorité et l’orchidée par sa beauté. J’imagine aisément avoir voulu dé-diaboliser la fin imminente de Chloé en la poétisant à souhait. Chez Gondry, le nénuphar ressemble à une grosse méduse, flasque, filandreuse, visqueuse ce qui n’a pas manqué de perturber ma propre interprétation des choses. Le nénuphar, les anguilles sortant des robinetteries, le pianocktail, le principe entropique global généré par la maladie de Chloé…toutes les inventions de Vian et plus encore ont été passées à la moulinette de Gondry pour en faire des inventions graphiques plus ou moins bien aboutis ne laissant aucune place à la magie des mots, à l’imagination individuelle, à l’appropriation mais aussi et surtout à l’histoire d’amour fabuleuse entre Colin et Chloé.
Vous trouvez mes propos abscons? Ah bon! Je ne saurais que vous conseiller de lire le roman de Vian plus que d’aller en voir l’adaptation cinématographique car de Gondry à Jeunet – on aurait pu imaginer que l’idée germe aussi dans la tête d’un tel réalisateur – la seule et la bonne façon de l’appréhender appartient à chacun d’entre nous. En espérant qu’il n’ait pas mal vieilli toutefois car comme disait Vian via Colin Ce sont les choses qui changent, pas les gens.
La Complainte du Progrès – Boris Vian
Interview de Chloé (Audrey Tautou) et Colin (Romain Duris)
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