Très joli roman que Le Mirage de Thomas Mann qui semble à nouveau ironiser sur le « miracle de l’innocence retrouvée ». Cette fois la passion folle et fatale saisie une veuve allemande (Rosalie), cinquantenaire, qui tombe éperdument amoureuse d’un jeune américain venu enseigner la langue à son fils.
Ma première rencontre avec Mann ne fut pas littéraire mais cinématographique avec Mort à Venise de Visconti, adaptation remarquable du roman du même nom. Totalement subjuguée par la beauté éthérée du jeune androgyne que joue Bjorn Andresen, j’en arrivais par empathie à comprendre le malaise, que dis-je, le mal être irréversible que peuvent ressentir certaines personnes vieillissantes subitement dévorées par une passion ardente non partagée pour bien plus jeune qu’eux. Et dans Mort à Venise, c’est un vieux compositeur en villégiature (écrivain dans le roman de Mann) qui se brûle aux feux de la passion pour un jeune éphèbe avec homosexualité en toile de fond. La même compassion m’a saisie en lisant Le Mirage. Peut-être même plus encore puisqu’il s’agit ici d’une femme et que j’analyse le contexte aujourd’hui avec des yeux d’adulte et non d’ado.
Curieusement les situations se répètent dans l’œuvre de Mann, et qu’évoquent-elles au juste? Dans Mort à Venise, la ville est en proie à une épidémie de Choléra qui la rend suffocante, belle et laide à la fois, baignant dans de mauvaises odeurs persistantes. Dans Le Mirage et c’est ce qui m’a frappée, nouveau clin d’oeil à la décomposition et la pestilence lorsque Rosalie qui se promène avec sa fille découvre un petit tas d’ordures cuisant au soleil, grouillant de bousiers « sur un tout petit espace, des excréments de bête ou d’homme s’étaient amalgamés avec des détritus végétaux et le cadavre déjà avancé d’une bestiole de la forêt s’y mélangeait sans doute aussi ». Bien évidemment décomposition et mauvaises odeurs font référence à la mort et accentuent l’inévitable déclin physique vers lequel l’homme tend petit à petit.
Dans Le Mirage, la fin est extrêmement violente puisque l’héroïne meurt de la dégénérescence de ses ovaires, attributs féminins par excellence, signifiant très sûrement que la nature l’a abandonnée elle qui depuis le début entretient avec cette dernière des rapports qu’elle juge privilégiés « Peu m’importe les railleries, elles ne détruiront pas mes tendres rapports avec la nature, la bonne nature ». Mort à Venise présente une mort guère plus « sympathique » (si tant est que l’on puisse utiliser ce mot pour parler de la mort) puisque notre artiste va finir ronger par le Choléra.
Quelle ironie! Thomas Mann nous touche au plus profond et en appelle à notre imagination, notre compassion peut-être aussi un peu notre sens de l’humour si tant est que l’on puisse en rire à défaut d’en pleurer. Le Mirage est une très belle lecture que je conseille vivement.
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