« Je voudrais que l’on se penche un peu non pas sur les droits et l’utilité des marginaux mais sur les droits et l’utilité de ceux qui se targuent d’être normaux ». Des mots forts, des mots chocs pour introduire un film dont le but premier est d’ouvrir à l’autre et à sa différence avec humilité et tolérance. « Sur mes cahiers d’écolier, sur mon pupitre et les arbres, sur le sable de neige (…) Liberté j’écris ton nom ». Quelques mots gravés en lettres capitales à même la peau d’un dos par deux amoureux qu’une révélation touchante, profonde, irrémédiable a chamboulés. Laurence, professeur de lettres émérite au prénom prédisposé, choisit à l’aube de ses 35 ans de se transformer en ce qu’au fond il a toujours été : une femme. Au delà du regard plus ou moins bienveillant d’autrui, de sa compagne, de sa mère, au-delà même des souffrances physiques et psychiques, Laurence ne déroge pas. Mais ne dit-on pas que la liberté s’arrête là où commence celle des autres? « La terre est bleue comme une orange » Monsieur Eluard pourtant lorsqu’on la regarde avec les œillères de sa propre histoire, de son éducation plus ou moins rigide et de ce que l’on considère comme la normalité quand on s’obstine à ne pas vouloir écorner les schémas sociaux, cette isotopie est incompréhensible, incohérente. Aller au delà des apparences n’est pas toujours facile.
Laurence va se heurter aux mesquineries du microcosme universitaire, au rejet premier de sa mère, à la séparation douloureuse d’avec sa compagne. Condamner les autres serait aussi faire preuve d’intolérance. Au delà des normopathes et autres psychorigides en tout genre dépourvus de la moindre empathie, il y a les proches. Ceux qui eux sont supposés comprendre et aimer malgré la différence. Mais voilà changer d’identité est affaire personnelle, l’entourage encaisse le choc. Tout d’abord Fred sa compagne excentrique, que joue l’extraordinaire Suzanne Clément, compréhensive au début car passionnément amoureuse puis rattrapée par son désir d’une vie « normale ». Ensuite Julienne, sa mère (surprenante Nathalie Baye), qui à l’inverse loin de se complaire dans le dégoût, l’indifférence ou le renoncement finira par s’accomplir après cette confidence allant jusqu’à lui lâcher « J’ai jamais eu l’impression que tu étais mon fils…(sourire)…par contre j’ai l’impression que tu es ma fille ».
Formidable explosion d’émotions et de couleurs auquel vient s’ajouter un panel musical d’une autre époque allant de Vivaldi à The Cure en passant par Beethoven et « Fade to Grey » (devenir gris, devenir gris), Xavier Dolan (23 ans) signe ici une œuvre insolente et remarquable ponctuée de vérités dérangeantes sur l’amour filial et conjugal ainsi que sur l’abnégation parfois impossible dont il faut faire preuve pour accepter la différence. Belle leçon de courage aussi que le choix de Laurence car même s’il faut se maquiller pour mieux se retrouver, peu importe le sexe, ce sera Laurence anyways! Et moi ça me fait du bien.
Liberté de Paul Eluard
Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable de neige
J’écris ton nomSur les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nomSur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nomSur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l’écho de mon enfance
J’écris ton nomSur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J’écris ton nomSur tous mes chiffons d’azur
Sur l’étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J’écris ton nomSur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nomSur chaque bouffée d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nomSur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l’orage
Sur la pluie épaisse et fade
J’écris ton nomSur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J’écris ton nomSur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J’écris ton nomSur la lampe qui s’allume
Sur la lampe qui s’éteint
Sur mes maisons réunies
J’écris ton nomSur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J’écris ton nomSur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J’écris ton nomSur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J’écris ton nomSur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nomSur la vitre des surprises
Sur les lèvres attendries
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nomSur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nomSur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nomSur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nomEt par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté.
Laisser un commentaire