On connaît tous la fameuse photographie de Man Ray présentant le dos d’une femme comme table d’harmonie d’un violoncelle. Ce que l’on connaît moins c’est la personne qui se cache derrière cette femme. Il s’agit en fait d’Alice Prin, en grec Aliki, plus connu de ses contemporains sous le nom de Kiki de Montparnasse.
Kiki de Montparnasse est donc le nom de scène de celle qui restera pendant longtemps la compagne et muse de Man Ray et le modèle de bien des sculpteurs et peintres des années 30 dont Kisling, Soutine et Modigliani.
J’ai découvert le parcours de cet extraordinaire petit brin de femme en lisant la monumentale biographie présentée sous forme de bande-dessinée qu’a scénarisée Jean-Louis Bocquet et illustrée Catel Muller.
Toute en finesse, l’œuvre retrace le parcours de ce personnage haut en couleur, à la gouaille chantante, à la cuisse légère et aussi flexible que celle des danseuses de French-Cancan. Issue d’un milieu pauvre et élevée par une grand-mère à qui elle voue d’ailleurs un véritable culte, Kiki débarque de sa province à Paris sans un sou en poche vers 16 ans. Son caractère hargneux et sa détermination à ne pas finir soubrette, la pousse à quitter un à un ses patrons pour vendre son corps à des artistes en tout genre comblés de l’avoir pour modèle. Très vite repérée, elle va côtoyer les plus grands des surréalistes (groupe alors en proie à de violentes querelles intestines sur fond de manifeste dada) mais aussi d’autres grands talents artistiques de cette époque foisonnante de créativité (Cocteau, Picasso…).
Au-delà de son image de femme indépendante et fière de ses choix, cette égérie n’en demeure pas moins une dame qui aspire à une destinée plus normale et rêve d’avoir un enfant avec Man Ray qui lui n’existe que pour l’art. D’ailleurs Kiki, « il ne l’aime pas », il « la baise ». Aigrie par cette vie où elle finira par ne plus trouver sa place, elle plonge dans la cocaïne et l’alcool et meurt à 52 ans d’excès et de tristesse.
Je vous recommande fortement cette bande-dessinée qui dépeint assez bien le milieu culturel des années trente où la productivité artistique abondait. Même si certains épisodes manquent parfois un peu de relief (notamment la partie sur la fin de vie du personnage), l’ensemble est agréable à lire et vraiment instructif. Le trait de plume fluide de Catel et le choix du noir et blanc donnent une dimension légèrement obscure au tout, à l’instar de la vie de cette femme aujourd’hui tombée dans l’oubli.
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