Voilà un film que je n’ai pas voulu voir à sa sortie. Voilà un film qui a fait couler beaucoup d’encre sans que pour autant il ait connu à Cannes le tollé d’un Funny Games de Haneke (qui le méritait sans doute un peu) ou d’un Assassin(s) de Kassovitz (qui banalisait le massacre de son prochain et faisait de nous des voyeurs impuissants). Le scandale : un plan séquence d’une scène de viol où la belle Alex (Monica Bellucci) va subir les assauts d’un fou-furieux pendant près de 10 minutes en temps réel. 10 minutes c’est long, c’est odieux pour le spectateur qui forcément s’y retrouve un peu dans ce couloir crasseux baigné de rouge. Contrairement au seul individu qui dans le film y pointe son nez et se casse sans rien dire, nous on aimerait gueuler, appeler à l’aide. Si je suis relativement d’accord pour dire que la scène ne méritait sans doute pas un tel degré de précision (encore qu’un viol doit être sacrément long pour celui qui le subit), elle reste toutefois assez « pudique » dans ce qui est montré de nudité entendons-nous bien (et là je parle pour les quelques voyeurs décérébrés qui viendraient essentiellement pour matter la divine italienne). Loin d’être gratuite le tour de force de Noë est d’ailleurs d’en faire une justification à la folie meurtrière qui va s’en suivre et que nous spectateur nous nous prenons d’entrée en pleine face.
Car dans Irréversible la temporalité est inversée. Au départ un générique de fin qui commence par la fin et puis qui penche, qui penche jusqu’à s’incliner un peu, se désarticuler. Comme le bras de Marcus (Vincent Cassel) se faisant casser la gueule dans ce repaire infâme d’homos en manque de sensations fortes (nommé « Rectum ») où rongé par la douleur il recherche le Ténia (surnom du violeur). Le spectateur est d’abord un peu perdu, d’ailleurs il se cogne aux images avec violence comme un insecte cherchant aveuglément la lumière. Lumière qui n’existe pas, qui n’existe plus dans ce trou morbide. Secondé par Pierre son ami et ex petit-ami de sa compagne récemment agressée (campé par l’excellent Albert Dupontel) voilà Marcus prêt à tout pour assouvir sa soif de vengeance. Pourtant c’est Pierre le modéré, Pierre le diplomate, Pierre le sage et gentil professeur d’histoire qui va l’exécuter cette vengeance, sauvagement et bien mal encore puisqu’il va se tromper de cible. La scène d’une violence inouïe marque la fin de cette tragédie et donc paradoxalement le début du film, le parti pris du réalisateur consistant donc à remonter petit à petit le fil du temps du sordide vers le bonheur. Et là ce que je reprocherai le plus à Noë est son côté trop manichéen, sans demi-mesure. Le sordide est violemment sordide (le réalisateur allant jusqu’à choisir des noms afférents comme pour étayer ses propos : Rectum pour le background de la boîte sado-maso, Ténia pour le violeur. Tu ne veux pas nous faire un dessin Gaspard aussi?) et à l’inverse le bonheur étant trop parfait (images d’Alex en osmose complète avec Marcus, puis tout à son ivresse de découvrir son début de grossesse, enfin étendue sur l’herbe verte et tendre d’un parc entourée de bambins jouant au cerf-volant). L’expérience cinématographique d’inversion du temps met l’accent sur le fait que l’esprit humain a du mal à croire à ce bonheur quand il a flirté avec l’horreur. Le bonheur devient factice ou plutôt irréel comme si il n’avait jamais existé, l’horreur ayant tout effacé.
Vivre est (ou peut-être) une tragédie dont Gaspard Noé rend compte avec brutalité. C’est choquant, dérangeant, percutant, difficilement supportable mais cette expérience cinématographique (filmée en plans séquences rendant le tout plus que crédible) est extraordinaire (dans le sens premier du terme à savoir hors de l’ordinaire) et irréversible.
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