Alexandre Soljénitsyne, John Kennedy Toole, Robert Merle, Alberto Moravia et Martin Gray. Pas grand-chose à voir me direz-vous. Si la liste présente quand même deux auteurs ayant écrit sur la Shoah, le seul autre lien commun entre ces écrivains repose sur une littérature qui a trouvé en son temps un écho unique en moi. Peut-être parce que ces lectures tombaient à un moment de ma vie où elles prenaient alors une signification particulière. Peut-être tout simplement parce qu’il s’agit de chefs d’œuvre de la littérature. Je ne sais pas. En tout cas je vous propose un florilège de livres qui m’ont, si ce n’est aidée à « grandir », tout au moins chamboulée par leur contenu et/ou leur style.
Ce roman connu également pour l’excellente adaptation cinématographique de Jean-Luc Godard (une fois n’est pas coutume!) raconte la décomposition d’un couple du point de vue d’un homme que sa femme va non seulement cesser d’aimer mais petit à petit mépriser. Reconquérir Emilia voilà tout ce qui anime Riccardo. Mais ennui, désenchantement, sait-il seulement ce qui motive Emilia? La perte de communication va rendre Riccardo fou et violent face à cette beauté froide qui ne lâche rien; attitude qui ne fera d’ailleurs qu’alimenter un peu plus le mépris d’Emilia. Véritable roman psychologique, le Mépris dissèque au scalpel un amour en chute libre avec force de pérégrinations mentales. Introspection captivante tout autant que déprimante.
Le Pavillon des cancéreux – Alexandre Soljénitsyne
En 1955, au début de la déstalinisation, Alexandre Soljénitsyne est exilé dans un village du Kazakhstan, après huit ans de « goulag ». Il apprend alors qu’il est atteint d’un mal inexorable dont le seul nom est objet de terreur. Miraculeusement épargné, il entreprend quelques années plus tard le récit de cette expérience. Le pavillon des cancéreux portait… le numéro 13. Paul Nikolaïlevitch n’avait jamais été superstitieux et il n’était pas question qu’il le fut mais il ressentit une pointe de découragement lorsqu’il lut sur sa feuille d’entrée : pavillon n°13.
Soljénitsyne narre ici quelques journées de personnages pittoresques et parvient à confronter l’immense diversité des destins humains à ce destin commun qu’est la mort. L’acte de vie, de sentir, de voir, de toucher comporte alors une telle intensité de bonheur que la mort semble être contenue dans cette vie. Intensité qui donne d’ailleurs à de nombreuses pages un lyrisme tendre et franchement émouvant. Bien que portant un regard rude sur le monde et les hommes souvent analysés comme triviaux, Le pavillon des cancéreux révèle surtout que quand la vie revient rien ne semble bas et insignifiant. Un roman bouleversant d’humanité.
La conjuration des imbéciles – John Kennedy Toole
Ce livre, qui m’avait été recommandé par un prof de philo, m’a d’abord interpellée par le destin de son auteur. Ecrit au début des années soixante, le jeune inconnu qui en fut à l’origine devait se suicider à l’âge de 32 ans se croyant écrivain raté. La conjuration des imbéciles ne fut éditée qu’en 1980. Le plus amusant dans cette histoire c’est qu’aussitôt publié le roman a connu un immense succès outre-Atlantique et s’est vu couronné par le prix Pulitzer en 1981.
L’histoire se passe à la Nouvelle-Orléans, ses bas quartiers, ses faubourgs perdus, son étrange parler où vit Ignatius Reilly – personnage sans précédent dans la littérature. Délirant, pervers, adipeux, étrangement créatif, il semble être en révolte constante contre le monde moderne. Combat solitaire d’un homme repoussant au possible dont chacune des expériences devient aussitôt une aventure incroyable, un désastre absolu. Flanqué d’une mère qui le pousse à trouver du travail et d’une petite amie qui aimerait un peu plus de sexe, cet étrange personnage obèse et flatulent se pense pur génie en décalage permanent avec ses contemporains qu’il méprise. Sa valve pylorique se bloque périodiquement en réaction à l’absence « d’une géométrie et d’une théologie appropriées à notre monde moderne ». Tragédie? Comédie? On ne sait pas bien mais ce qui est certain c’est que la vie de Reilly a quelque chose de fascinant. Un OVNI sans aucun doute.
La mort est mon métier – Robert Merle
A qui puis-je dédier ce livre si ce n’est aux victimes de ceux pour qui la mort est un métier?
Une véritable claque, un livre d’histoire dont la trame est inspirée de faits réels : Rudolf Lang a existé. Il s’appelait en réalité Rudolf Hoess. Il était le créateur et un des commandants du camp d’Auschwitz. La première partie du livre est une « reconstruction » de la vie de Hoess d’après les résumés des entretiens du psychologue américain Gilbert avec l’officier allemand dans sa cellule lors des procès de Nüremberg. La seconde partie retrace la lente mise au point de l’usine de mort d’Auschwitz d’après les documents du procès de Nüremberg. Lang est donc le « héros » de ce roman. On vit le récit à travers son histoire, sa psychologie, son regard, ses sentiments. Cela peut sembler terrifiant mais loin d’être inintéressant l’exercice se veut montrer comment un homme, ayant eu une enfance à peu près « classique », une vie de famille banale, peut devenir un monstre sans même s’en rendre compte guidé par la soumission à l’ordre et la fidélité au chef. Conscience? Réflexion? Empathie? Totale abstraction tant que l’on fait son devoir. Qu’on ne s’y trompe pas Rudolf Lang n’est pas un sadique. Le sadisme a fleuri dans les camps de la mort, mais à l’échelon subalterne. Plus haut il fallait un équipement psychique très différent. Il y a eu sous le nazisme des milliers de Rudolf Lang, moraux à l’intérieur de l’immoralité, consciencieux sans conscience, petits cadres que leur sérieux et leurs mérites portaient aux plus hauts emplois. Tout ce que Rudolf fit, il le fit non par méchanceté, mais au nom de l’impératif catégorique, par fidélité au chef, par respect pour l’Etat. Bref, en homme de devoir : et c’est en cela justement qu’il était monstrueux.
Au nom de tous les miens – Martin Gray et Max Gallo
Pour être parfaitement honnête, ce livre là je ne l’ai pas lu. En revanche j’ai vu le film de Robert Enrico qui pour certains d’ailleurs ne vaut absolument pas le livre. Si je souhaite parler de Martin Gray aujourd’hui c’est que cet homme et son histoire méritent d’être connus. Au nom de tous les miens est donc le récit autobiographique de Martin Gray recueilli par Max Gallo et paru en 1971. L’histoire d’un jeune Juif polonais qui vécut dans le ghetto de Varsovie pendant la Seconde Guerre mondiale. Échappant d’abord aux camps de concentration, il finit par se faire arrêter mais réussit à s’enfuir du camp d’extermination de Treblinka où sa mère et ses frères furent massacrés (son père suivra) pour participer à la Résistance. Après la guerre, dans l’unique but de faire revivre les siens, de leur rendre hommage, il s’enrichit et fonde une famille. Malheureusement sa femme et ses quatre enfants périront, le 3 octobre 1970 dans un feu de forêt, lors de l’incendie du Tanneron. Peut-être un jour lirai-je le livre, en tout cas l’histoire de cet homme m’a profondément marquée.
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