Délicatesse, élégance dansent et s’entremêlent avec fragilité, sensibilité; tous ces mots qui résonnent en moi au sortir d’un goût de Rouille et d’Os. La corrosion des cœurs endurcis par une vie paumée, l’éclatement des os broyés par les aléas d’une existence qui n’épargne pas. La réunion des contraires, d’aimants bipolaires, d’amants magnétiques au champ(s) fertilisé par la tendresse, la tolérance. Et la barque est chargée! Lui est pauvre, taiseux, primitif, brutal, handicapé du sentiment. Elle, séductrice, farouche, instable, un brin agressive. Ils se rencontrent un soir d’orage à l’odeur de sang où de la bouche d’Ali ne sort en un éclair que des paroles lapidaires et cassantes. « Pourquoi tu t’habilles comme une pute? » marque le début d’une histoire qui semble faire fi de toute délicatesse. Mais la délicatesse n’est pas toujours là où on le croit. Derrière la brutalité des mots va très vite apparaître la beauté des actes. Accepter l’autre dans la différence, sans a priori. Mieux, l’aider à s’épanouir dans le style de vie qu’il a choisi ou qui lui a été imposé. Tout simplement être présent. C’est sans doute là que se situe la vraie délicatesse.
Stéphanie se réveille sans ses jambes, là où Ali n’a qu’un corps de souffrance fait pour cogner. Corps mutilé, corps blessé, âmes oxydées. L’entraide et la compréhension réciproque seront le leitmotiv de ces deux marginaux dont l’histoire ressemble à une double résurrection. Sans jugement aucun, le plus naturellement possible ce colosse au cœur tendre que joue Matthias Schoenaerts – déjà vu dans Bullhead – va lui apprendre à renaître à un monde qu’elle n’a pas choisi, va lui apprendre simplement à ne pas renoncer. Pas par pitié, ni même par amour (tout au moins au départ) juste comme ça, peut-être parce qu’au fond il a compris qu’elle avait besoin de lui. De son côté et forte des attentions pourtant parfois brutales qu’il a à son égard, Stéphanie va le porter dans ses combats de coq – qu’il exécute pour quelques euros – jusqu’à en devenir la taulière. Perchée sur des prothèses en métal qu’elle n’hésite d’ailleurs plus à exhiber, elle en arrive à nager en eaux troubles et d’un simple regard lui donner la force de gagner.
Pas de pathos, juste l’histoire de deux vies cassées, de deux êtres fait pour se rencontrer, l’un apprenant à revivre et à accepter les blessures d’un corps mutilé, l’autre apprenant à aimer malgré les bleues d’une âme recroquevillée. Après De Battre mon cœur s’est arrêté et Sur mes lèvres, Jacques Audiard prouve encore ici en parfait alchimiste que les plombs qui viennent jalonner la vie peuvent parfois briller de mille feux.
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