La MEP a donné carte blanche à David Lynch pour présenter une série de ses photos. Intitulée « Small Stories », il y raconte en noir et blanc une histoire? Ses fantasmes? Des images oniriques, dérangeantes, quelques clins d’oeil à Eraserhead, Elephant Man, Lost Highway, Blue Velvet, Mulholland Drive, La Mouche? Ah non bordel c’est Cronenberg! Mais qu’allait-il faire dans cette galère? Si l’on y reconnaît sans consteste l’univers Lynchien, ces petites histoires n’expriment non seulement rien du tout mais la qualité de la photographie « gris-crado », pixelisée, entre rêve et cauchemar laisse franchement à désirer. Des intérieurs inquiétants, étouffants à souhait comme sait si bien les décliner l’artiste. Des têtes, une fultitude de têtes sans visage, à la Magritte (univers surréaliste que pourtant j’apprécie en temps ordinaire). Non décidément, profonde déception que ces Small Stories désespérément muettes alors que Lynch c’est aussi ça et que ça c’est bien!
Désillusion de courte durée toutefois car la plus grosse surprise proposée par la MEP reste « Camouflages » de Joan Fontcuberta. Bluffant, vraiment. Artiste contemporain catalan, Fontcuberta a connu pendant sa jeunesse la dictature franquiste et avec elle la censure et la falsification de l’information. Son travail est le reflet de ses réflexions sur toutes les formes de prétendue vérité et les possibilités énormes de manipulation offertes par la photographie. Jonglant avec la réalité et la fiction, jouant également avec sa propre image pour mettre en scène des situations invraisemblables son but est sans nul doute d’aiguiser notre esprit critique. Et il y parvient. A voir absolument.
Camouflages de Joan Fontcuberta
Au XIIe siècle, le poète Soufi Mahmoud Chabestari a écrit : « Ce n’est pas que le monde soit trompeur, mais plutôt que, dans son incapacité à voir, l’homme s’ingénie à être trompé… Nous sommes aveugles car nous voyons des images ». Que dire donc du XXIe siècle, quand les images éclipsent la réalité et s’instrumentalisent pour contrôler les esprits?
La philosophie, tout comme le sens commun, démontre que les images sont des pièges tendus à notre conscience. Comment identifier ces pièges? Plus important encore : comment les désamorcer?
Associée à la mémoire et à l’archive, à la connaissance empirique, à l’appropriation symbolique du réel ou encore à la construction de l’identité, la photographie n’est pas innocente, elle est porteuse des valeurs de la culture techno-scientifique et du capitalisme industriel. Pourtant avant d’explorer le monde à travers un appareil photo, il faudrait discerner l’ADN idéologique de cette technologie au service de la certitude.
Pourquoi croire aux photos? se demande Juan Fontcuberta. Pourquoi invariablement accorder une confiance sans borne à l’oeil mécanique de l’appareil photo? Pour lui, générer le soupçon et remettre en question la crédibilité charismatique de la photographie équivaut à conjurer les régimes de vérités et à refuser tout discours d’autorité.
Trafiquant d’idées et artiste-joueur, Fontcuberta regroupe à la MEP quelques-uns de ses projets phares en posant un regard à la fois poétique et critique, capable de dissiper les misères de la routine visuelle et les préjugés des conventions culturelles.
Tel un raconteur maîtrisant les techniques du storytelling, Fontcuberta nous plonge dans des histoires « jamais réelles et toujours vraies », comme Artaud le prétendait. En jouant de l’imagination conceptuelle et de la démystification des pouvoirs du langage, en évoquant l’humour corrosif des surréalistes, Fontcuberta dépouille la photographie de son dogme, fut-il appliqué au journalisme, à la politique, à la science, à la religion, à la mémoire ou à l’art. Son parcours est un antidote à la solennité et à l’ennui, d’ailleurs si commun dans la création contemporaine.
Mais avant tout, Fontcuberta nous apprend à douter. Et pour réussir dans cette tâche, il déploie ses stratégies d’imposture, d’infiltration et, bien entendu, de Camouflage.
Bernardo Soares
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