Le film et les personnages de ce film sont fictifs mais les méthodes de management sont réelles. Belle introduction pour Corporate qui décortique les mécanismes du « management par la terreur ». Quand la décision est prise de diminuer les effectifs de 10 %, la DRH est chargée de trouver une solution. Or aujourd’hui, les environnements professionnels de plus en plus compétitifs et la mobilité des cadres offrent un large boulevard à certains « psychopathes en costume-cravate » ravis d’accomplir le sale boulot « proprement » en tirant sur les ficelles perverses d’un contexte plus concurrentiel et sous pression. Dans certaines entreprises, les Ressources Humaines n’ont alors d’humain que le nom.
Embauchée par le PDG d’un gros groupe d’agroalimentaire pour dézinguer sans licencier, Emilie Tesson-Hansen, jouée par la formidable Céline Sallette va la trouver la solution : inciter à la mobilité pour ne pas dire la démission avec mise au placard définitive. Car encore faut-il pouvoir bouger à l’approche de la cinquantaine. Rendez-vous avec la DRH annulés, employés en dépression acculés à quitter leur emploi par des méthodes consistant à les reléguer entre la photocopieuse et la machine à café avec pour seul défaut celui d’avoir passé la date de péremption, il fallait bien qu’un jour un homme tombe à pic du 4ème étage sous les yeux horrifiés de ses collègues pour que la stratégie vienne se gripper. Un peu. Car là encore, foin de culpabilité pour la direction. Simplement trouver des solutions pour échapper à l’inspection du travail. Mais jusqu’à quel point reste t-on « Corporate »?
Le vrai « psychopathe » sans doute jusqu’au bout. Très peu de bourreaux se repentent ce qui est assez normal puisque les phénomènes psychologiques qui les ont conduits à être bourreaux leur ont justement ôté tout sentiment de culpabilité. Franchir le pas et aller plus en avant dans la monstruosité conduit les êtres les plus abjects à se protéger par un phénomène bien connu des psychologues appelé « la dissonance cognitive » (voir expérience de Milgram).
Emilie Tesson-Hansen, elle sera le grain de sable qui fera vaciller la machine. Et c’est peut-être là l’écueil de Corporate. Fendre la carapace d’une DRH pourtant au départ décrite comme étant dans le contrôle permanent avec ses chemisiers de rechange et son déodorant appliqué 3 fois par jour pour éviter toutes traces d’humanité, pro-active d’un système qui lui promet en retour une carrière brillante et évolutive. Prête à tuer dans l’entreprise, Silhol en a fait un personnage plutôt compréhensif et humain dans la vie privée sujette à la remise en cause, que le suicide d’un employé va remettre dans le droit chemin. Personnellement je n’y crois pas trop. Toujours est-il que c’est le parti pris du réalisateur. Faire de son « héroïne » une personne sans état d’âme qui va se transformer en parangon de vertu et d’honnêteté heurtée par la mort d’un salarié.
A une époque où prévention des risques psycho-sociaux, du stress et du burn-out dans l’entreprise sont de plus en plus à l’honneur alors que les méthodes dites du « flux tendu » ou du « harcèlement organisationnel » continuent à peser sur certains salariés, Corporate a le mérite de provoquer le débat. Si Silhol sait déjà qu’il existe des tas de gens, qui mènent des politiques de management positives, gageons que ceux qui pratiquent les négatives en prennent de la graine. Et franchement là ce n’est pas gagné car comme me disait un jour un ami très cher dans un contexte, tout autre certes, où nous parlions de tortures physiques plus que psychologiques : l’homme fait montre d’une inventivité toujours renouvelée dès qu’il s’agit de nuire à son prochain, qu’il manifeste d’ailleurs encore de nos jours par les mines anti-personnel et les films de Luc Besson. Clin d’œil second degré pour évoquer des sujets sensibles dont les problématiques ne peuvent laisser indifférent lorsqu’on est juste humain.
Corporate, un film à voir sans aucun doute!
Laisser un commentaire