Bullhead – Michael R. Roskam

« Au moins c’est constant, c’est mauvais du début à la fin » voilà ce que j’ai pu entendre au sortir de Bullhead. Injuste sentence pour un film que je n’ai pourtant pas aimé mais qui reste remarquable dans sa mise en scène et le jeu exceptionnel de Matthias Schoenaerts situé quelque part entre l’homme et le taureau. Me revient à l’esprit l’image de cet ange, de cet enfant aux yeux clairs, au teint pâle, au visage nimbé de candeur : ce clap de fin comme claque dans la gueule. Un retour sur l’innocence détruite après deux heures de souffrance humaine en pleine poire. C’est long, c’est glauque, oppressant pour ne pas dire anxiogène accentué par l’usage de filtres de couleurs, de contre-jours, de successions de travellings et gros plans sur la détresse de Jacky, agriculteur flamand impliqué dans des trafics d’hormones contrôlés par la mafia locale.

Car Jacky ne fait pas qu’être mêlé aux trafics régionaux visant à engraisser à coup de seringues la viande qui finit dans nos assiettes, Jacky s’injecte lui-même en intramusculaire les mêmes hormones de croissance qui le rendent chaque jour un peu plus bestial, un peu plus violent. Difficile de s’identifier, de s’attacher ou d’appréhender les motivations de ce minotaure juste repoussant, renfermé, inquiétant. Puis l’explication arrive via une scène en flashback d’une sauvagerie inouïe où l’on comprend que notre écorché vif s’est vu déposséder de ses parties intimes broyées sous les coups de pierre d’un enfant attardé. Tous les enjeux s’éclairent et le film prend alors une autre dimension, celle de la tragédie d’un individu vulnérable, victime à la prépuberté d’un trauma irréversible ayant plongé sa famille dans le chaos psychologique, sombrant petit à petit à l’âge adulte dans un désespoir palpable, une folie autodestructrice générée en partie par l’injection de testostérone.

La souffrance à l’état brut qui crève l’écran, qui prend aux tripes, qui fait mal. Aucun espoir, aucune issue possible pour regagner ses galons d’homme. Un engrenage infernal jusqu’à la scène finale en apothéose.

Non je n’ai pas aimé l’ambiance de Bullhead polar noir et oppressant prenant pour cadre un milieu rural corrompu en Flandre sur fond de meurtre d’un policier où seules les répliques franchement débiles de deux garagistes wallons manipulés par la mafia flamande permettent quelques minutes de décompression  (un peu cliché quand même). Bien trop sordide, bien trop chargé en testostérone, pas assez rythmé pour que je puisse adhérer. Toutefois j’admets que Bullhead reste un polar efficace, sans concession remarquablement interprété par un acteur massif jonglant aussi bien avec la violence et l’agressivité qu’avec la fragilité et la souffrance. Un film à voir.

> Lire l’interview de Matthias Schoonaerts

Photo : Issue du film Bullhead – Matthias Schoonaerts – DR

Commentaires

  1. Avatar de My Little Discoveries

    Waouh! Je ne sais pas si j’ai envie de voir ce film, je ne crois pas à vrai dire! Mais la première phrase m’a fait sourire…

    1. Avatar de luzycalor

      Ouais j’ai adoré la remarque du type légèrement conformiste au sortir de la salle genre : « On va trois fois au cinéma par an chérie et il faut qu’on aille voir ça! Au moins c’est constant, nul du début à la fin. Merci le Figaro!! » 🙂 Franchement ça m’a bien fait marrer parce que j’ai du mal à comprendre que l’on puisse qualifier ce genre de film de navet. La détresse humaine ne peut, ne doit pas laisser insensible. A moins que ce type imagine que se faire broyer les couilles ne puissent pas exister et ne puisse pas engendrer un tel naufrage psychologique incroyablement bien filmé en plus.
      N’avait qu’à pas lire le Figaro tiens!

  2. Avatar de Le chat masqué

    Ton article est super intéressant ! Mais j’avoue ne pas être attirée par ce film :-/
    Bonne soirée à toi, bises !

    1. Avatar de luzycalor

      Merci miss. C’est pourtant du bon cinéma bien « couillu ». Je pense qu’il vaut la peine d’être vu essentiellement pour l’acteur et la mise en scène impeccable.

  3. Avatar de Océane

    Encore un film à côté duquel je suis complètement passée… effectivement ça semble oppressant, noir.. Pas exactement ce vers quoi je me précipiterai 🙂

    1. Avatar de luzycalor

      Pas de précipitation pour ma part, juste la curiosité d’aller voir un film dont les critiques étaient plutôt élogieuses et de découvrir un cinéma belge que je ne connais pas.

  4. Avatar de Liten Blomma

    Merci pour la recommandation, je pense que j’irai le voir mardi. Il m’intéresse vraiment beaucoup, Sans faire de jeu de mots – puisqu’il y est question de Minotaure – c’est son côté Dédale, labyrinthique (« aucune espoir, aucune issue possible », comme tu l’écris) qui m’attire : j’espère que ce côté mythique transparaitra de temps à autre dans ce film. Et puis, j’aime beaucoup ce que font les Belges en matière de création artistique. Leur vision est tellement particulière. Oui, un grand merci pour ce billet !

    1. Avatar de luzycalor

      Il est un peu comme un minotaure ayant perdu son fil d’Ariane même si je sais que celui-ci était plutôt conçu pour aider Thésée. Mais je te laisse découvrir le film car j’en ai déjà trop dit et espère que tu me diras ce que tu en as pensé.

  5. Avatar de Violette

    J’avoue avoir été dubitative en sortant de la salle, après avoir lu tellement d’articles dithyrambiques!
    Certes le jeu de Mathias Schoenaerts est impressionnant, et la photo réussie, mais où est le scénario? Tout m’a semblé poussif: le flash-back trop long et trop explicatif (fallait-il vraiment tout nous expliquer, et si tôt?), les personnages tous plus laids les uns que les autres, les garagistes stupides censés nous faire rire… Je n’ai pas marché.
    Même si ce personnage (comme toi, j’ai pensé au Minotaure) est quelque part attachant, après tout ça nous est bien égal.
    Non, je n’ai pas compris ces hourras de la presse, mais en revanche j’ai envie de suivre Mathias Schoenaerts…

    1. Avatar de luzycalor

      Les personnages ne sont pas super sexy c’est vrai ça 🙂 Il y a pas mal de gueules cassées.
      Là où je ne suis pas d’accord avec toi c’est sur le fait que la fragilité du héros (ou plutôt anti-héros) nous soit bien égal. Moi je l’ai trouvé attachant et sa souffrance ne m’a pas laissé de marbre. Cet acteur est excellent et la façon de le révéler de Michaël R. Roskam aussi.

  6. Avatar de potzina

    C’est la première critique un peu tiède que je lis, il faut dire que je n’ai lu que des avis de blogueurs, c’est peut-être pour ça 🙂
    Si j’ai l’occasion de le voir, j’irai parce que le sujet me fout les boules… Oui, c’est une vanne vaseuse, je sais mais ça me tentait trop !
    Bonne soirée !

    1. Avatar de luzycalor

      Oui c’est vrai que les critiques sont plutôt dithyrambiques (sauf celle de Violette un peu plus haut) et pas seulement chez les blogueurs. Quant aux vannes à la con, il y a matière je te l’accorde 🙂 le film lui en regorge.

  7. Avatar de Carmadou

    Nous serions facilement passés à coté, mais coup sur coup nous lisons ce papier et nous voyons qu’il est prochainement programmé dans notre salle…alors nous ne savons plus que faire, il est fort à parier que ce soit la météo qui décide au dernier moment… Excellent papier, comme d’habitude!

    1. Avatar de luzycalor

      N’hésitez pas à venir me dire ce que vous en avez pensé si les vents lui sont favorables. Merci en tout cas pour ce gentil compliment.

  8. Avatar de Le Journal de Chrys

    J’avoue que ce film me fait bien envie!!!!!!

  9. Avatar de aircoba

    Même si la performance d’acteur est là, tout le reste m’a laissé de marbre et même gonflé. Jai trouvé ce film très ennuyeux, très, trop démonstratif, et plein d’effets de mise en scène inutiles. Au final, je le trouve ronflant. Comme un petit réalisateur qui vient d’obtenir son diplôme et qui, pour son premier film, veut direct jouer dans la cour des grands. Je marche pas. Tous ces gros plans interminables sur son visage, c’est bon on a compris qu’il ressemble à une bête. Les deux garagistes abrutis ne m’ont pas fait rire tellement le trait est forcé. Le personnage le plus intéressant du film (son ami d’enfance) me semble complètement sous-exploité. Son homosexualité, l’histoire avec le flic, tout ça. On dirait qu’il esquisse un truc et puis psssscht. On revient au perso principal, à la bête. C’est trop. Ce film est trop. Trop plein d’effets (la fin quoi au secours !), trop de caricatures, trop de flashbacks jusqu’au dernier qui a vraiment achevé de m’exaspérer. Je n’aime pas ce genre de film, ce genre de machine implacable qui veut tout écraser. Ouais j’en suis ressorti écrasé. Mais franchement, tout cela était-il vraiment nécessaire ? Un peu plus de sobriété dans la mise en scène et un peu moins de caricature n’aurait pas fait de mal à ce film. Ca lui aurait même fait le plus grand bien.

  10. Avatar de dasola

    Bonjour, je suis assez d’accord sur les réserves sur ce film. J’avoue ne pas avoir tout compris de l’histoire policière mais le personnage de Jacky est inoubliable si ce n’est que trop c’est trop. J’ai été contente quand cela s’est terminé. On souffre pour lui. J’imagine les dégâts sur le foie et le coeur. Une vie gâchée à cause d’un petit imbécile qui n’est pas en meilleur état. Bonne après-midi.

    1. Avatar de luzycalor

      Finalement Dasola arrive à m’envoyer des commentaires? 🙂 Un autre contributeur du site a essayé par trois fois hier sans y parvenir. Tant mieux! Sinon, j’avoue que moi aussi j’ai soufflé à la fin de ce film assez glauque il faut bien le dire. Je pense qu’il faut le voir pour la prestation de l’acteur que j’ai trouvé plus que convainquant. L’histoire quant à elle ne m’ayant pas emballée plus que cela. Bonne fin de journée à vous et à bientôt.

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