Aussi esthétique qu’un Won Kar Waï, une forme d’ironie non sans rappeler Takeshi Kitano dans un plan fixe en début de film laissant brutalement échapper une poussée de violence, quelques ellipses temporelles « kubrickiennes » bien maîtrisées, ce polar noir de Diao Yi’nan envoûte beaucoup plus par l’ambiance et la satire sociale qu’il sous-tend que par l’enquête policière en elle-même. Plutôt banale quoiqu’assez opaque, l’histoire criminelle tourne autour d’un cadavre, éparpillé, morcelé retrouvé aux quatre coins d’une province houillère du nord de la Chine. Point de départ d’une intrigue à tiroirs où violence et grâce vont savamment se mêler.
Symbolique d’un corps démembré pour marquer un état d’esprit? L’émiettement d’une société chinoise en proie à des changements rapides et profonds où l’écart entre nantis et démunis devient si grand qu’il génère une violence palpable. Une violence désabusée que véhicule Liao Fan jouant le rôle d’un ex-inspecteur de police débarqué, solitaire et taiseux attiré par la jolie blanchisseuse – Kwai Lun-Mei – suspectée si ce n’est d’être à l’origine des meurtres en tout cas d’en être la cause.
Et la grâce. Un regard fatal empreint de mélancolie dans la nuit glaciale tombant sur les rues aux néons souffreteux. Ces rues désertiques et désertées aux immeubles décrépis, aux salons de coiffure d’un autre siècle, aux restos miteux, aux parcs d’attraction inanimés. Quelques pas dans la neige…des traces de patins sur la glace métaphore sans doute de relations glissantes, de liaisons dangereuses et potentiellement mortelles. Le charbon incandescent crépite, la glace se brise. Le blanc fond au contact de la flamme carbonisante qui transforme la matière organique en cendre.
Véritable éloge de la lenteur, Black Coal ne semble pas faire l’unanimité. Bien qu’ayant remporté l’Ours d’or à Berlin, certains amateurs d’action dans les polars ne s’y retrouvent sans doute pas. Pourtant d’une rare intensité, le film propose un cinéma d’une beauté et d’une efficacité exemplaire. A voir incontestablement.
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