Où sont passées les hystériques de jadis, ces femmes merveilleuses, toutes ces femmes devenues les figures matricielles de notre psychanalyse? C’est grâce à leur parole que Freud a découvert – en les écoutant – un mode entièrement nouveau de la relation humaine (…). Les hystériques d’antan ont donc vécu, et leur souffrance s’offre de nos jours sous d’autres visages, d’autres formes cliniques plus discrètes, moins spectaculaires peut-être que celle de l’ancienne Salpêtrière. Et ce sont ces femmes de jadis si merveilleuses à l’étude – neurologique autant que psychiatrique – ces « hystériques » de la Salpêtrière dont J-D Nasio regrette presque la transformation, qu’Alice Winocour a choisi de filmer dans Augustine.
La Salpêtrière, cité des âmes meurtries et des corps convulsés où les médecins observaient leurs patientes sous toutes les coutures. Issues des classes les plus pauvres, simples domestiques victimes du droit de cuissage ou prostituées malmenées, les « hystériques » au XIXème siècle exposaient bien malgré elles leur névrose et ses conséquences somatiques devant des hommes de science venus les étudier comme des bêtes curieuses. Ces hommes – un brin inquiet, fascinés de voir des femmes en crise allant jusqu’à se masturber – faisaient sans nul doute d’elles leur obscur objet de désir. Jean-Martin Charcot n’y résistera pas dans la fiction de Winocour. Ou plutôt au-delà de l’intérêt médical qu’il porte à la patiente Augustine, le neurologue en fera sa favorite et deviendra l’esclave de celle qui au départ pourtant n’était qu’un simple cobaye. L’accès à la conscience de soi d’Augustine passera d’abord par une confrontation avec le médecin puis par un jeu de séduction pour l’amener à céder à son désir, enfin par une domination pour atteindre la guérison qu’elle maîtrisera entièrement. Charcot ne trouvera pas l’origine nerveuse de ses souffrances, Augustine ne guérira qu’une fois reconnue comme sujet de désir n’étant alors plus considérée comme simple objet.
Audacieuse, malicieuse, manipulatrice, le spectateur ne peut que se laisser séduire par Augustine la révoltée, la féministe avant l’heure. Ce bout de femme énergique et déterminée, jouée par Soko, qui tirera sa révérence habillée en homme laissant un Charcot (Vincent Lindon) médusé. Pour rendre compte de la relation ambiguë entre le neurologue et sa patiente, Winocour invoque des atmosphères d’une grande sensualité. Sous couvert thérapeutique, les corps se touchent, parfois un peu brutalement, parfois voluptueusement (une des scènes les plus sensuelles du film reste celle magnifiquement mise en scène avec le singe). Tout est ambiance dans ce film interprété par des acteurs que l’on sent possédés par leur rôle.
Au contraire de A Dangerous Method qui abordait quelque part le même sujet (la différence étant que nous étions sur le psychisme et non sur le physiologique), Augustine m’a captivée, envoûtée alors que la salle se désertait gentiment. Pourtant ce premier film d’Alice Winocour mérite, il me semble, largement le détour!
Laisser un commentaire