Plonger en apnée dans Sur mes lèvres, De battre mon cœur s’est arrêté, De rouille et d’Os, replonger sans le moindre espace de respiration dans Un prophète, Audiard m’étouffe, m’accule, me hante mais surtout m’invite à réfléchir sur le sens de la vie sans préjugé. Non la vie n’est pas un long fleuve tranquille et la perte, l’absence ou au contraire l’omnipotence d’un tiers peuvent la rendre douloureuse.
La perte d’un membre, l’absence de repères, la présence écrasante d’un père (réel ou spirituel), en substance Audiard aborde des thèmes tels que le manque de lien social, la privation de libre-arbitre ou de liberté, la solitude ressentie face à des choix imposés. Il y a toujours dans les films d’Audiard un obstacle qui vise le héros, d’abord esclave d’une situation ou d’un individu. Mais les esclaves on le sait rêvent de rébellion, passent souvent à l’acte et finissent par faire tomber de son pied d’estale le « maître » dont ils servent la cause. Le héros comprend vite que s’il veut exister il faut tuer… « le père » pour que la chrysalide se transforme en joli papillon au mieux en bombyx au pire.
Voilà ce qui arrivera à Malik 19 ans, analphabète, incarcéré pour 6 ans en milieu plus qu’hostile. Sitôt arrivé, sitôt abîmé, molesté, volé, placé sous le joug du clan qui fait la loi : le clan des corses dont le parrain César Luciani (excellent mais flippant Niels Arestrup) va immédiatement en faire son larbin et instaurer une relation digne de la dialectique du maître et de l’esclave exposée par Hegel dans la Phénoménologie de l’esprit.
Couverts par quelques pourris de l’institution carcérale, les corses font régner la terreur et imposent au jeune-homme un contrat qui lui assurera protection et « relative » tranquillité en eaux troubles. La mission : égorger à l’aide d’une lame de rasoir savamment placée au préalable à l’intérieur de sa joue un témoin gênant dans sa cellule. Malik déboussolé, apeuré, délaissé par une administration pénitentiaire totalement dépassée par les rouages bien huilés des réseaux internes, va devoir s’exécuter. Et là angoisse totale. Interpellation du spectateur sur le sens de la peine. Qu’est-ce que Malik fout là? Il entrait pour purger 6 ans pour délit plutôt mineur, il se retrouve à devoir buter un mec. Arriver pour délit mineur et se retrouver potentiellement « fichable » au grand banditisme à sa sortie de taule, loin du malaise on serait plus proche de l’aberration.
Bref, voler de ses propres ailes, s’affranchir, tuer le père, Malik va très bien se sortir de la situation et devenir « prophète en son royaume ». Intrigue à fort taux de testostérone où la femme ne trouve sa place que jambes écartées sur papier glacé, le réalisme cru du film et le jeu exceptionnel d’Arestrup et de Tahar Rahim offrent un spectacle inoubliable. Encore un très grand Audiard.
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