Entre rêve et réalité, une dualité insatiable. Mais comment confronter notre « réalité » intérieure avec la réalité extérieure? Julie nous en donne un peu les clés dans son livre où se mêle poésie de l’image et des mots. Parce que justement l’un n’existe pas sans l’autre, rêve et réalité peuvent se contracter. Parce qu’il n’y a pas d’existence sans imaginaire et que parfois – souvent – le réel brise le songe, rêve et réalité se « contaminent ». « Je vois des fêlures, et même des trous. Béants. Je rencontre des silhouettes sans visages. J’affronte des miroirs sans reflets qui montrent ce que je suis. Au fond je sais que je ne suis pas d’ici. Il y a des images dans ma tête et rien que des mots dans le monde ». Bienvenue dans la « Rêvalité » de Julie de Waroquier.
Luzy : Julie, d’où vous vient ce goût pour la photographie, racontez nous vos premiers pas ?
Julie de Waroquier : Je ne peux pas dire que j’ai toujours été passionnée par la photographie, même si j’ai toujours été attirée par les arts de l’image. Cette passion m’est venue lorsque j’étais en prépa littéraire. J’ai reçu un appareil photo compact pour mes 18 ans, qui ne devait servir qu’à immortaliser mes souvenirs de vacances. Mais j’ai rapidement pris goût à créer mes propres histoires ; j’ai cultivé ce goût jusqu’à aujourd’hui.
Luzy : Là où les mots sont parfois lourds de sens, pesants ou même encore difficile d’accès, la photographie en appelle à l’imagination, à notre part de rêve, à une compréhension plus sensitive des choses, pensez-vous que l’image soit plus percutante que les mots pour raconter une histoire, décrire un événement ?
Julie de Waroquier : Je ne pense pas que ce soit forcément « plus » percutant ou « plus » efficace. Il y a des mots très suggestifs et des images très réalistes, qui ne laissent pas de place à l’imagination. La photographie est à mon sens un autre langage, qui a ses valeurs propres et ses règles et symboles spécifiques. Avec la photographie on peut viser la même réalité qu’avec les mots, mais on ne dira jamais exactement la même chose, car les outils pour l’exprimer sont différents. C’est ce qui fait la richesse des deux. J’ai choisi la voie de la suggestion et de l’imagination avec les images comme avec les mots.
Luzy : Vous venez de publier un très bel ouvrage intitulé «Rêvalités» où chaque photographie peut être perçue comme l’expression d’un rêve que vous auriez capturé pour le rendre réel, pour vous le rêve est-il salutaire ? Et au-delà rend-t-il l’individu meilleur et plus apte à affronter la réalité ?
Julie de Waroquier : Le rêve pour moi est à prendre dans un sens très général ; c’est toute la part d’imaginaire qui construit notre rapport au monde. On n’a pas de relation directe aux choses et aux gens, on est sans cesse rapporté à l’image que l’on se fait d’eux, et par là-même à la façon dont on rêve notre vie. Le rêve donc c’est notre rapport personnel au monde, comment on le perçoit ou comment on voudrait qu’il soit. Je ne pense pas que l’on puisse sortir de l’imaginaire complètement. Je ne crois pas à l’objectivité radicale. En ce sens le rêve est salutaire s’il est compensatoire d’une réalité triste avec le danger de s’y enfermer et de nier le réel en lui-même. Il ne rend pas forcément meilleur, mais il révèle notre rapport au monde personnel…
Luzy : La dualité rêve-réalité est donc le fil conducteur de votre œuvre – que ce soit au travers des mots poétiques qui accompagnent vos clichés («Marcher sur un rêve», «Rêvalités»…) ou au travers des clichés eux-mêmes – pensez-vous que la réalité soit faite de rêves ou qu’au contraire elle mette fin aux rêves ?
Julie de Waroquier : …Il n’y a pas de réalité sans imaginaire parce que notre subjectivité reçoit tout et reconstruit tout. En même temps le réel nous rattrape sans cesse et nous rappelle que le rêve peut être illusoire. L’un n’existe pas sans l’autre, rêve et réalité n’arrêtent pas de se contaminer l’un l’autre ; c’est cette relation qui construit notre rapport à l’autre et au monde que j’explore dans mes images.
Luzy : Votre travail transpire un onirisme que l’on retrouve chez les peintres surréalistes tels que Magritte ou Dali, dans quelle mesure ce courant a-t-il été pour vous une source d’inspiration ?
Julie de Waroquier : Je ne suis pas spécialement fan de Dali ; Magritte me touche davantage. Je ne m’en suis pas inspirée consciemment, mais comme nous explorons un univers commun, les similarités sont apparues.
Luzy : Le poids du temps est également extrêmement présent (notamment au travers les horloges, les craquelures, les fissures, les traits de craie sur un tableau noir), est-ce que la réalité du temps qui passe, des choix que l’on fait et des résignations que ces choix supposent vous effraient ?
Julie de Waroquier : Je suis une grande angoissée, et le temps qui passe fait partie de ces angoisses que je porte ; c’est un thème plus que classique, mais ce manque d’originalité ne me dérange pas dans la mesure où j’essaie d’exprimer des peurs que l’on porte tous, plus ou moins consciemment.
Luzy : «Tu veux t’ouvrir, c’est bien. Mais tu n’y verras peut-être pas plus clair à l’extérieur si tu es tout obscur à l’intérieur». Pensez-vous que rêver rende «paradoxalement» lucide ? Et si oui, le rêve nous conduit-il sur les sentiers de la liberté ou sur les chemins du bonheur (si l’on en croit vos mots liberté et bonheur sont deux choix qui s’opposent)?
Julie de Waroquier : Oui, mais en fait il faut distinguer deux sortes de rêves… si le rêve c’est l’illusion, le refus du réel triste, alors le rêve compense la dureté du réel ; cependant dans ce cas il est illusoire, chimérique, il rend heureux mais il masque la réalité du monde. Dans un autre sens, si le rêve c’est l’imaginaire comme un autre moyen de penser le monde, par le biais du symbolisme, de l’imagination, alors il est salutaire. L’imagination est libre et libérante, elle permet de penser le monde autrement qu’il n’est. Il faudra toujours revenir au monde réel, on ne peut pas passer sa vie le nez en l’air à observer les licornes ; mais passer par l’imagination permet de le réinventer et de mieux le comprendre. Rêver, en un sens, c’est comme s’élever au-dessus du monde pour le regarder avec un autre point de vue. En cela, rêver peut libérer et rendre lucide.
Luzy : D’un point de vue plus technique, votre base de départ est-ce l’argentique ou le tout numérique ?
Julie de Waroquier : Je n’ai jamais touché à l’argentique, je me plais pour le moment avec le matériel numérique.
Luzy : De l’émergence de l’idée à la réalisation de la photo finale, combien de temps en moyenne pouvez-vous passer sur vos clichés et comment vous viennent les idées ? Est-ce d’un mot entendu, d’une phrase lue, ou tout simplement d’un rêve ?
Julie de Waroquier : La durée de réalisation varie énormément ; 1/4h à 30 mn de prise de vue, puis 30mn à 2h de retouche en moyenne. Mes idées ne viennent pas de mes rêves, car mes rêves sont très réalistes et peu intéressants malheureusement! Elles viennent soit spontanément, presque sous forme de flashs dans ma tête; ou bien elles sont le fruit d’une réflexion sur un concept, plutôt dans le cadre d’une série dans ce cas.
Luzy : J’espère que «Rêvalités» connaîtra le succès qu’il mérite. Pouvez-vous aujourd’hui nous en dire plus sur l’accueil réservé d’ores et déjà à l’ouvrage et sur vos projets futurs ?
Julie de Waroquier : Merci beaucoup ! Le livre a été plutôt bien accueilli par la critique médiatique (Figaro magazine, France Culture,…), mais je n’ai pas encore les détails des ventes ; je croise les doigts pour qu’il plaise. Concernant l’avenir, j’aimerais me concentrer sur la réalisation de séries photographiques qui permettraient de renouveler un peu mon univers. J’aimerais donner davantage de sens à mon travail.
Luzy : Une dernière chose, personnellement je suis tombée en admiration devant votre photo intitulée «Fissures intérieures», êtes-vous prête à nous en révéler un peu le secret ?
Julie de Waroquier : C’est bien sûr un montage ; j’ai photographié des fissures un peu partout chez moi, que j’ai ensuite incrustées sur le dos et sur le mur.
Merci à Julie de m’avoir accordé un peu de son temps. Voici un « tout petit » panel de photos que propose son ouvrage « Rêvalités » et quelques-uns de ses mots qui font sens : « Attendre l’imprévisible…c’est tout l’espoir qu’il nous reste à cultiver ».
En savoir plus :
> Julie de Waroquier Photography
> Rêvalités – KnowWare Editions / www.knowwareeditions.com
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