Étudiante j’aimais les cours de philosophie. Je me souviens d’abord avoir été marquée par une prof de Terminale qui pour premier sujet nous avait collé « Qu’est-ce que l’ascétisme? ». Inutile de vous décrire les regards hébétés des élèves dans la classe. Nous entrions dans une discipline totalement étrangère qui nous poussait enfin à réfléchir sur les questions majeures de l’existence humaine. Deuxième choc, la prépa HEC avec Daniel Pennac comme enseignant. Je découvrais alors un homme assez exceptionnel (dont j’avais très peu entendu parler auparavant) dispensant ses cours assis en tailleur sur le bureau avec pour principe de partir d’un mot, d’une phrase, d’un livre et de laisser les élèves en discuter sans jugement, naturellement, tout avis étant bon à prendre. Il engageait ainsi des conversations terribles à partir de petits riens (notamment des citations de Woody Allen dont une m’a vraiment interpellée : Le lion et l’agneau peuvent coucher côte à côte, mais l’agneau ne dormira sans doute pas très bien) et incitait à la réflexion collective par ce que j’appellerais l’accouchement des esprits et la contagion de l’enthousiasme. Certains (surtout pour une prépa ) n’appréciaient pas ses méthodes peu conventionnelles et pas du tout théoriques. Pour ma part je me suis laissée séduire et ai bien vite derrière dévoré sa trilogie bellevilloise ainsi que son essai Comme un Roman dans lequel il met en relief sa pédagogie.
A cette même époque et poussée par la passion communicative de cet auteur pour la littérature, je me suis penchée sur les romans sentimentaux, les courants pré-romantiques et romantiques, expression des exaltations et tourments de l’âme. Je me souviens m’être complaisamment perdue dans cette littérature. Je m’interrogeais sur cette passion interne qui dévorait Madame de Clèves pourtant si raisonnable à penser que l’amour pour durer ne doit pas être consommé et qu’il vaut mieux y renoncer puisqu’il est éphémère (raison prévalait sentiment, nous n’étions pas dans le romantisme), je me tourmentais avec Werther, sensible à l’extrême, amoureux d’une femme promise à un autre dont la passion le conduit au suicide, je m’élevais avec René et son vague des passions, en notait des bribes et ressentais son exaltation à être dans la nature, dans une solitude absolue, accablée d’une surabondance de vie : « L’imagination est riche, abondante et merveilleuse. L’existence pauvre, sèche et désenchantée. On habite avec un cœur plein un monde vide et sans avoir usé de rien, on est désabusé de tout ».
Si je partage avec vous aujourd’hui ces quelques mots peut-être un peu désordonnés, vous m’en excuserez, c’est que je viens avec délectation de me pencher ces derniers temps à nouveau sur cette littérature en relisant Adolphe de Benjamin Constant où l’auteur analyse les relations de l’amour et du temps en évoquant non pas le malheur de n’être pas aimé mais celui d’être aimé quand on aime plus : « Elle vous sera chaque jour moins agréable, vous lui serez chaque jour plus nécessaire ».
Avec Adolphe, Constant nous offre un des textes les plus cruels de la littérature française.
Avec Adolphe, je fais un petit retour à des sources que j’avais délaissées mais qui ne s’étaient jamais taries.
Romans cités :
> Daniel Pennac : Au Bonheur des Ogres, La Fée Carabine, La Petite Marchande de Prose, Comme un Roman
> Mme de Lafayette : La Princesse de Clèves
> Goethe : Les Souffrances du Jeune Werther
> François-René de Chauteaubriand : René
> Benjamin Constant : Adolphe
Illustrations :
> Le Désespéré de Gustave Courbet (oui je sais je l’aime bien celui-ci)
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