Oui je sais, en ce moment je ne fais pas dans le film d’actualité. Mais qu’importe finalement, il n’est jamais trop tard pour rattraper une erreur de jugement ou tout simplement pour combler l’absence de regard sur une œuvre qui n’a pas fait immédiatement écho. Pourtant Eternal Sunshine of the Spotless Mind aborde un sujet passionnant : l’oubli comme (potentielle) source de bonheur ou tout au moins comme remède à la souffrance. Et de fait qui n’a jamais rêvé après un échec amoureux, un deuil douloureux, un chagrin lancinant que son cerveau (ne serait-ce qu’un instant) se déconnecte de la réalité, se mette en mode « pause » voire évacue précipitamment le tourment? La solution ultime consiste d’ailleurs pour quelques-uns à se donner la mort là où la plupart apprennent à apprivoiser leur douleur et gérer leurs émotions. Beaucoup en sortent grandis, d’autres définitivement meurtris mais tous en réalité savons que ces étapes, si difficiles soient-elles, constituent notre histoire et font de nous les individus que nous sommes doués de sentiments plus ou moins bons. Existe t-il des souffrances qui méritent d’être effacées des mémoires? Je n’en sais rien et je me garderai bien d’être catégorique à ce sujet n’ayant pas connu d’histoire personnelle que je qualifierais de hors norme. Ce que je pense en revanche c’est que lorsqu’il s’agit de relations individuelles affectives (quelle qu’en soit la nature) « effacer » serait s’amputer d’une partie de son existence, vivre comme des robots et donc paradoxalement ne pas se laisser une chance de connaître (à nouveau) le bonheur qui résulte aussi de l’apprentissage à surmonter les difficultés de la vie. Le bonheur se construit, il est fondé sur des principes empiriques d’expériences plus ou moins douloureuses qu’il faut apprendre à dépasser. Attention encore une fois il n’y a chez moi aucun jugement sur la capacité plus ou moins grande qu’ont les individus à surmonter leur peine mais juste un ressenti personnel.
Bref, je m’égare. A la fois c’est aussi la réflexion que m’a inspirée ce très bon film dont l’idée ne peut qu’interpeller. Aurais-je envie d’effacer certains épisodes de ma vie, notamment une si jolie histoire d’amour comme celle de Joël et Clémentine sous le prétexte qu’elle a fini par s’user et se déglinguer? Non. Du plus beau au plus pénible, je revendique tous mes souvenirs affectifs et aurais bien peur de les perdre. Oublier les moments privilégiés de son existence c’est perdre le goût des autres, l’odeur de leur corps, toutes les petites joies partagées, tout ce qui fait qu’une rencontre est unique et rend la vie plus belle. Même si le risque est qu’un jour tout s’achève, je préfère le courir plutôt que de vivre une vie sans relief, sans mémoire, sans souvenir. Car quand les souvenirs s’effondrent que reste t-il? Poussé à l’extrême Se souvenir des belles choses de Zabou Breitman fut pour moi une excellente illustration de ce vide intersidéral.
Vide intersidéral que Joël lui va finir par refuser (bien que consentant au départ car se sentant trahi) alors qu’à l’inverse Clémentine a déjà accepté l’expérience de l’oubli pour pouvoir tourner la page. Et voici le spectateur plongé dans une structure narrative complexe où « la machine à effacer la mémoire » va déloger à rebours de la tête de notre héros tous les éléments de vie du couple du plus douloureux au plus magique. Plongé au coeur des arcanes cérébrales de Joël Barish, nous luttons avec lui pour protéger sa belle histoire, nous flirtons avec son instabilité, parfois en proie à l’absurdité de situations Lewis Carolliennes où il s’agrippe tant bien que mal à des souvenirs d’enfance dans lesquels il projette sa bien-aimée pour l’écarter de tout oubli.
C’est beau, poignant parfois étrange, surprenant mais jamais absurde. Jim Carrey dans le rôle de Barish, ce personnage timide, émotionnellement renfermé mais extrêmement sensible y est bouleversant. Loin des rôles de bouffon qui lui collent parfois (à tort) à la peau, il arrive à donner à cette histoire d’amour un relief incroyable, une force, une tendresse telle qu’on ne peut que lui souhaiter de ne surtout pas oublier. Et que dire de Kate Winslet dans le rôle de la pétillante Clémentine si ce n’est qu’elle est tout aussi attachante. Un très joli film à ne pas rater.
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