Austère, quelque peu angoissant, parfois surprenant le film de Pierre Schoeller aborde le quotidien d’un Ministre des Transports, Bertrand Saint-Jean, happé par une machine d’Etat toujours complexe, souvent hostile, jamais dans l’affect. Au départ une métaphore intéressante: une belle femme nue s’engouffre dans la gueule d’un crocodile. Cette scène surréaliste des plus inattendue laisse entendre, me semble t-il, que les hautes fonctions de l’Etat et le pouvoir qu’elles génèrent séduisent mais en contrepartie dévorent ceux ou celles qui les servent. Et c’est ce que le film de façon très factuelle va tenter de montrer.
Bertrand Saint-Jean est réveillé dans la nuit pour se rendre sur le lieu d’un accident de car très grave à l’origine de la mort d’une dizaine d’enfants. Un changement de cravate et un discours de circonstance plus tard, notre Ministre se retrouve sur la bande d’arrêt d’urgence à vomir toutes ses tripes. La route, toujours cette route, si dévastatrice, quelque fois mortelle quand on ne la suit pas, celle dont Schoeller se sert comme fil rouge, omniprésente et évoquée parfois de façon assez amusante (pour preuve, la scène où notre ministre entouré de ses conseillers s’étrangle avec un morceau de pizza et déclare avoir fait une fausse route, ce qui n’est pas banal pour un ministre des transports). Et c’est justement l’idée de faire fausse route qui hante cet homme d’Etat, l’idée d’aller droit dans le mur ou encore d’être impuissant par rapport à certains évènements. Privatisera, privatisera pas les gares? Sera t-il le Ministre de la réforme entrant ainsi dans l’histoire au risque de provoquer un tollé général ou au contraire celui du status quo? Sera t-il tout simplement déjà suivi par Matignon dans son intime conviction que soutenir un tel projet est une grosse erreur ou au contraire sera t-il obligé de porter cette réforme devant la France entière… et donc de se désavouer?
Réunions, déplacements, cérémonies officielles, situations de terrain chaotiques, arbitrages budgétaires, réformes incertaines mais aussi vie privée où les amis sincères se font rares, l’intérêt du film repose sur le suivi pas à pas de cet homme dans sa réalité. Ce haut dirigeant en proie au doute, bien seul dans sa tête, dont on n’envie en rien le quotidien trop mécanique mais pour lequel on ne peut s’empêcher d’avoir une certaine compassion. Tellement seul qu’il en arrive le jour de son anniversaire de mariage à passer une soirée bien arrosée avec son chauffeur taiseux et la femme de ce dernier à l’inverse plutôt prolixe, le tout dans un environnement des plus étonnants (peut-être la scène du film à laquelle on croit le moins d’ailleurs). Sa seule relation sincère semble être celle qu’il entretient avec son Directeur de Cabinet, joué par l’excellent Michel Blanc, fidèle compagnon de toujours et serviteur irréprochable de l’Etat. Mais en politique la fidélité, les amitiés sincères et la rigueur ne payent pas beaucoup, on le sait…
Même si l’on peut être sceptique sur le fait que le film nous apprenne quelque chose sur les arcanes du pouvoir, ce n’est définitivement pas son but. Encore une fois l’intérêt réside surtout dans le fait qu’il est passionnant de suivre les tribulations quotidiennes d’un Ministre campé par un remarquable Olivier Gourmet si juste dans ses contradictions. Si froid et à la fois paradoxalement si touchant. Un vrai bon film à ne pas rater.
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