J’ai découvert l’univers sadien vers seize ans en tombant hasardeusement sur un livre savamment planqué par un adulte. Car l’adulte a l’art et la manière de croire qu’il a trouvé la bonne cachette alors que l’ado fouineur est bien plus rusé qu’il ne peut le laisser penser. C’est avec La philosophie dans le boudoir que je me suis donc infiltrée dans l’univers du marquis de Sade et avoue avoir été choquée par l’immoralité et la cruauté des propos et des situations. Sade n’est définitivement pas à mettre dans les mains de lecteurs peu avertis.
Quelques temps plus tard, je redécouvrais le « sadisme » mais cette fois à travers le prisme du cinéma de Pier Paolo Pasolini avec son œuvre éminemment subversive Salò ou les 120 journées de Sodome (librement adaptée des « Cent vingt journées de Sodome »).
Cet incommensurable auteur me faisait avoir ma première et peut-être même seule réelle nausée cinématographique, mon premier malaise en salle obscure qui soit dit en passant semblait clairement collectif tant l’ambiance nauséabonde qui émane du film transpirait dans la salle. Certains spectateurs gênés détournaient le regard, d’autres poussaient quelques petits cris d’effroi, un grand nombre remuait nerveusement sur leur siège, quelques-uns sortaient avant la fin.
Certes nous n’étions pas nombreux dans ce petit cinéma d’art et d’essai du quartier du Luxembourg à Paris mais une chose était sûre, nous ne ressortirions pas indemne de l’expérience.
La fiction se situe pendant la période d’alliance entre l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie, dans la République de Salò proclamée par Mussolini en 1943.
Pasolini y dénonce la domination et le recours à la violence pour montrer sa supériorité, dont l’époque est devenue le symbole. Dix-huit esclaves dont un grand nombre d’enfants enlevés et séquestrés, quatre maîtres (des notables italiens dont un juge, un évêque, un duc et un magistrat), quatre mères maquerelles et beaucoup de gardes armés s’isolent dans une propriété de la ville de Salò. Et là, l’horreur se déroule sous nos yeux selon trois cercles successifs : le Cercle des passions, le Cercle de la Merde et le Cercle du sang qui ne sont pas sans rappeler l’enfer de Dante.
Pas besoin d’épiloguer, vous aurez bien compris que humiliation, viols, scatologie pire coprophagie, tortures et enfin massacres étaient de la partie. Le film met en scène une chorégraphie totalement macabre où le souffle du dernier supplicié fait naître un plaisir non dissimulé sur le visage du maître.
La cruauté à l’état brut, celle dont le fascisme et le nazisme ont fait l’apologie, se dévoile sous les yeux horrifiés des « humanistes » au plus, tout au moins humains sensés que nous sommes.
Si je peux clairement dire que ce film est parfaitement indigeste pire intolérable et que plusieurs années après l’avoir vu il est resté enfoui dans un coin de mon esprit, je comprends le message que Pasolini a semble t-il voulu faire passer. Celui de la responsabilité de nos actes, de notre regard de citoyen face à l’histoire pour que jamais au grand jamais nous ne restions spectateurs passifs et indifférents devant l’horreur et la cruauté. Un des rares films qui forgent la citoyenneté d’un individu. Mais malheureusement un des rares films aussi que je déconseille de voir aux âmes sensibles (et peut-être même à d’autres) faute de garder pendant longtemps quelques souvenirs d’angoisse isolés dans un coin de la mémoire.
Avec Salò ou les 120 journées de Sodome Pasolini provoqua l’une des polémiques les plus importantes que le cinéma ait jamais connu et signa son tout dernier film…Très peu de temps après sa sortie, il était assassiné, roué de coups par un gang fasciste sur une plage d’Ostie. Triste fin pour un auteur aussi remarquable.
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Photos :
> Photo 1 : Pier Paolo Pasolini sur le tournage du film (CP : Droits réservés)
> Photo 2 : un des cercles du film ( CP : Droits réservés)
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