Onirisme et poésie, deux mots pour deux Pablo. D’abord Larraín qui choisit sous forme de polar envoûtant de raconter la course folle de Neruda, fervent communiste, traqué pour ses idées politiques par le gouvernement chilien à la fin des années 40. Deux mots qui siéent élégamment également à cet incroyable poète fantaisiste à l’emphase facile qu’était Ricardo Eliécer Neftalí Reyes Basoalto mieux connu sous le nom de Pablo Neruda.
Je peux écrire les vers les plus tristes cette nuit. Ecrire par exemple : la nuit est étoilée. Et les astres d’azur tremblent dans le lointain. Le vent de la nuit tourne dans le ciel et chante. Je puis écrire les vers les plus tristes cette nuit. Je l’aimais et parfois elle aussi m’aima. Les nuits comme cette nuit, je l’avais entre mes bras. Je l’embrassai tant de fois sous le ciel, ciel infini, des mots délicatement déclamés, lancés au débotté dans quelques fêtes folles « où la gauche intellectuelle se rassemble et s’aime dès le soir venu ». Les excès en tout genre Neruda connaît. Et si son corps appartient bien souvent à quelques déesses de la nuit, son salut il le devra à Délia, sa brillante femme du moment interprétée avec sensualité par Mercedes Moran.
Entré en clandestinité avant de pouvoir s’exiler en Europe, Larraín aborde ici la cavale du poète subversif en mode histoire fictive, métaphorique mais surtout romanesque. Sans doute pour que le spectateur puisse planer avec les poèmes, la mémoire et même l’idéologie communiste de la guerre froide de Pablo Néruda. Poursuivit par un certain Oscar Peluchonneau, mandaté par la présidence, le film se présente comme un road-movie où la construction des trajectoires de chaque protagoniste s’imprègne d’absurde et de farces. Un monde inventé tout comme Neruda s’était inventé le sien dans l’essentiel des poèmes de son Canto General écrit à l’époque. Son livre, dira Larraín, sans doute le plus magique, le plus complexe et le plus audacieux. Des textes débordant de frénésies, de délires, de rêves terribles et plein d’une description cosmique d’une Amérique Latine en crise, enragée et désespérée.
Pas de biopic ici et pas besoin de connaître la vie du poète pour se laisser bercer par la magie de l’instant. Un film qui, s’il s’essouffle un peu il est vrai vers la fin, ne manque pas d’audace, de poésie et mérite franchement le détour.
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