Photographe de formation, passionné d’art urbain, Mouarf exerce son talent dans la rue. Portraits réalistes, noir et blanc pour la plupart, l’artiste aime peindre surtout ses proches dans des lieux insolites que la patine du temps a rendu un brin magique. Dénicheur de friches donc, Mouarf a toutefois plus d’une corde à son arc et des projets fous plein la tête à découvrir sans modération. Co-organisateur du festival Underground Effect dans le cadre de Paris La Défense Urban Week qui se tient du 19 au 22 septembre à la Défense, il se livre avec générosité aux questions de l’équipe autopsiart.
« Une fois devant le mur j’attaque, jamais de la même manière, sans savoir si je vais parvenir au résultat que j’espère. »
On ne sait pas grand-chose sur Mouarf l’artiste, le photographe, le vidéaste. Parle-nous un peu de Touarf…
Bonjour autopsiart, j’aime bien Touarf ☺. Je m’exprime plus aisément par l’image que par l’écrit, partant du principe que, souvent, l’image raconte bien plus à qui prend le temps de la découvrir. Photographe de formation, je me suis rapidement tourné vers la photo animée puis la peinture, trois médias qui forment un champ des possibles pour exprimer ce que je vis et les univers que j’explore.
En fouillant à gauche et à droite, l’équipe a découvert que tu es un ancien membre du PGC, que les friches industrielles n’ont plus de secret pour toi, et que les « sauts vertigineux » se font les doigts dans le nez. Tu nous expliques tout ça.
Ahah ! Le PGC c’était un collectif de photographes amateurs, passionnés d’arts urbains. Durant quelques années nous faisions le tour des friches de la région, des terrains et des spots, pour faire des images des créations qui poussaient un peu partout. Je suis arrivé en cours de route dans le PGC, et j’ai fait la connaissance de belles personnes, comme Syl ou Tatal’œil, une vraie bouffeuse de bitume, photographe jusqu’à la moelle, qui m’a permis de rencontrer le milieu graffiti d’alors.
La corde à l’arc supplémentaire que j’ai apporté à ce collectif, c’est d’aller plus loin, en kilomètres d’abord, mais aussi de partir explorer les friches, pour le graff oui, mais pour la beauté du lieu aussi. Il est extrêmement difficile de ne pas trouver de lieux abandonnés en France, peu importe la taille du patelin, il y en a partout. J’aime beaucoup les arpenter, quand j’ai le loisir de pouvoir partir en balade.
La friche où qu’elle se situe, a toujours une atmosphère qui s’apparente aux autres friches. Que ce soit en France, en Espagne, aux États-Unis, en Sibérie, en Italie. Partout cette même odeur de vide, ces affres passés, ces murs déshumanisés. C’est profond, et parfois angoissant. Deux bons amis les arpentent et leurs photos sont à voir absolument, Jeremy Gibbs aka RomanyWG d’Angleterre, et Jonk de France.
En ce qui concerne les « sauts vertigineux », je développe un peu plus loin.
Tes portraits sont très réalistes, la plupart du temps en noir et blanc, toujours associés à un prénom. Qui t’inspire ?
Mes portraits, c’est mon jardin secret. Je peins les miens, mes proches, mes enfants surtout et puis mes amis, ma famille. C’est mon rocher, ma madeleine de Proust aussi. C’est une façon de leur dire que je les aime, et c’est aussi un bon moyen de passer du temps avec eux, quand je m’acharne à ce qu’une ressemblance avec le modèle surgisse du mur.
En 2014, tu apprivoises Paris avec le projet SleepArt, un puzzle géant et des matelas. Tu nous dévoiles ce qui t’a poussé à faire ça et surtout ce que cela t’a apporté ?
Il faut comprendre une chose, je ne suis pas un graffiti artiste avec un parcours long comme le bras. J’ai démarré très tard, poussé par les copains Septik (GAV-B80), Saner (HVA-PTDQ) et LaMouche (HVA-PTDQ). Je n’ai pas fait de vandal, pas de train, pas de terrain. Je ne peins « presque » qu’en friche, au calme, 5 à 6 fois par an (grand max). Mais peindre dans la rue est assez électrisant. Les gens ne te voient pas forcément, ou ne comprennent pas ce que tu fais. Et ça c’est très bon.
L’idée du matelas, qui est un support déjà maintes fois utilisé, a démarré à la fin de l’été. Les étudiants affluent à Paris, les déménagements vont bon train, et un paquet de matelas usés se retrouvaient dans la rue. Dans les années 60, mon père, artiste peintre amateur également, récupérait les toiles à matelas dans Paris pour les tendre sur des châssis et se faire ainsi ses propres toiles. Il appelait cela peindre sur des cartes de France, en référence aux tâches d’urines laissées par trop d’usage de la paillasse.
J’ai eu envie de tester ce support éphémère, mais de relativement petite taille. M’est donc venu à l’idée de faire un portrait, mais façon puzzle. Une photo de mon fils dormant avec son doudou, détaillée en 36 morceaux. Chaque morceau peint sur un matelas trouvé dans Paris. Un bien agréable moment, de bons échanges dans la rue, des contacts FB qui m’envoyaient des messages pour m’indiquer un matelas à l’angle de telle ou telle rue…
Une fois mes 36 pièces réalisées, j’en ai assemblé les photos prises sur place et monté mon puzzle. J’ai très très envie de renouveler l’expérience…
Est-ce qu’il y a un pays où l’urbex t’est inconnue ?
Ahah, totalement et heureusement. Mais l’urbex m’a attiré en Espagne, Portugal, Hongrie, Italie, États-Unis, Turquie, Belgique, Angleterre, Lettonie, Sibérie, Tunisie, Canada, Pologne, Estonie, Lituanie. Partout où j’ai la chance de passer, j’en profite pour m’échapper quelques heures et visiter ces morceaux de temps qui passent.
Tu réalises des vidéos d’artistes : Sambre, Kan, JonOne, L’Atlas. Quel(le) artiste rêves-tu de filmer?
C’est chaque fois une histoire de rencontre. En réalité, les artistes avec lesquels j’aimerais travailler, sont forcément les artistes dont j’apprécie le travail. Et ils sont très nombreux. Vient ensuite la question de l’affinité, j’attache énormément d’importance au partage et à l’échange. Difficile pour moi de filmer quelqu’un qui m’est antipathique. Après, pour donner une liste qui sera très éclectique, j’adorerais filmer le travail de BomK, d’Alex MAC, d’Aryz, de MadC, et puis le travail des amis, Amin, Nean, Shaka, Alexöne…
Nos œuvres préférées sont sans condition : Malik entouré de poissons, Mansour et Morgo, le Corto Maltese sur la péniche. Tu peins à l’instinct ?
Totalement. J’ai peu de temps pour peindre, deux à trois fois par an ces derniers temps. Alors quand j’ai une fenêtre, je cherche une friche, et une photo dans mes archives. Je pratique trop peu pour être sûr du résultat ou pour avoir une méthodologie identique à chaque fois. Une fois devant le mur j’attaque, jamais de la même manière, sans jamais savoir si je vais parvenir au résultat que j’espère.
C’est quoi le Jump Graffik ?
C’est quelque chose qui m’est venu lorsque je photographiais des peintures gigantesques, mais tellement bien intégrées dans leur environnement, que parfois, un humain dans l’image, ramenait une échelle qui facilitait la compréhension de la chose. Je me suis ainsi mis à sauter devant les fresques d’Aryz à Granollers en Espagne, de Paum à Toulouse, de BomK dans l’Essonne, de Vilks à Angoûleme. Et puis j’ai pris l’habitude de le faire régulièrement.
Tu es co-organisateur du festival Underground Effect (UE). La troisième édition a eu lieu à Paris en septembre dernier. Comment tu sélectionnes les artistes ?
La sélection se fait en trois temps. D’abord, tout au long de l’année, je parcours les réseaux, les sites, les magazines, à la recherche d’artistes qui m’interpellent. Pas forcément des gens très reconnus, pas forcément des artistes très présents sur la scène graffiti. Les différents jams ou les events autour de la discipline sont autant de lieux de rencontres aussi.
Ensuite, je propose ces artistes à mon collègue, co-fondateur du Projet Saato également, et nous parvenons à un panel d’une cinquantaine d’artistes. Enfin, nous présentons ces artistes à un comité de sélection composé des différents acteurs de l’événement, nos sponsors, partenaires etc.
Une sélection de 18 artistes émerge de ce « casting ». Ce n’est qu’à ce moment-là que nous prenons contact avec les artistes retenus, afin de savoir si le projet les intéresse, et s’ils souhaitent y participer. Depuis la seconde édition, nous recevons également des candidatures spontanées, tout au long de l’année. Près d’une centaine pour participer à la troisième édition.
On dit toujours : « je n’ai pas de chouchous », histoire de vexer personne. Allez, sur les 55 artistes qui sont passés sur le parvis de La Défense, qui t’a le plus touché ?
Il y a beaucoup de critères à prendre en compte, et si des artistes ont particulièrement attiré mon attention, c’est pour différentes raisons. Mais pratiquement à chaque fois, la disponibilité, l’échange et l’attitude de la personne durant l’événement joue beaucoup.
Certains artistes venus de très loin comme Miles Toland (Nouveau Mexique), Sophie Wilkins (Québec), Refreshink (Italie) ou Animalitoland (Argentine), ont amené dans leurs valises une énergie positive phénoménale. Ce sont maintenant des amis. D’autres comme Smug (Australie), Does (Hollande), Belin (Espagne), m’ont littéralement éclaté la rétine. En montant ce festival je n’étais pas certain de pouvoir accrocher ces pointures, et les avoir à La Défense a été un gros kif perso aussi. J’aimerai beaucoup réussir à avoir MadC.
Underground Effect #4 (18-19-20 septembre 2018), ça pourrait donner quoi ?
UE4 c’est une version différente. Sur UE3, les 3 artistes féminines que nous avons invités n’ont pas pu venir, problème de calendrier ou autres, nous nous sommes retrouvés avec une édition 100 % masculine pour la première fois. En réaction et d’un commun accord avec mon associé, nous avons décidé de faire cette année une édition 100 % féminine. 15 artistes seront donc présentes, de 10 nationalités différentes. Comme chaque année aussi, nous poussons le bouchon des animations et du visuel. Certaines choses seront à découvrir sur place, mais visuellement cette année, ça va piquer un peu ahah. La fête sera belle.
Au fait, on cherche des indices sur la « secret area », tu nous aides ?
Ah oui bien sûr, aucun souci. La secret area se trouve en sous-sol, entre Saint-Germain-en-Laye et Nogent-sur-Marne. Sa surface avoisine les 20 000 mètres carrés, et lorsque nous avons commencé à y intervenir, elle était vierge de toute intervention picturale. Aujourd’hui ce sont presque 50 œuvres qui ornent les murs. À la suite d’UE4, les artistes y seront invitées à leur tour. La team autopsiart est bien sûr chaleureusement invitée également.
Mouarf n’est pas qu’un artiste ou un organisateur, il porte des projets de « cœur » notamment La maison de l’Alisier à Pierrefitte. Pourquoi cette démarche ?
Le projet a été initié par notre ami photographe Francis Beddok (Paris-émoi sur le net). Un ancien du PhotoGraff Collectif lui aussi. Il m’a présenté à ce centre accueillant en hôpital de jour ou en longue durée des personnes cérébro-lésées. Une rencontre d’une intensité rare. Un projet construit avec eux sur des semaines, et réalisé sous leurs yeux durant une semaine. Une immersion totale. Des moments difficiles et qui nous aident à faire la part des choses sur les tracas du quotidien.
Tu as plein de projets en tête, tu nous dévoiles quelques surprises ?
J’aime bien parler des projets au moment où ils se réalisent, ça évite les déconvenues qui sont fréquentes dans ce milieu. Avec le Projet Saato de belles choses sont en préparation, vous en saurez plus en temps utile c’est une promesse.
Mouarf gère El Femouar et Manufatto. On y trouve de belles photos, c’est quoi l’idée ?
El Femouar sur Facebook c’est ma page de photo d’exploration urbaine. Je la mets peu à jour faute de temps. Pour les intéressés sur le sujet, suivre Jonk est une bien meilleure idée. Ce garçon est fou.
Manufatto était un projet qui a peu duré. Suivre les artisans en vidéo et faire la promotion de leur art. J’aime particulièrement le fait main, que cela concerne un pâtissier, un horloger ou un garagiste. Le travail à la main et l’humain sont toujours passionnant. Le projet est en sommeil pour l’heure faute de capitaux, mais il reviendra à la charge je l’espère vivement.
T’as des super pouvoirs ?
Nan.
autopsiart, ça t’inspire…
Comme pour tout, ceux qui se trouvent derrière autopsiart, ceux qui le font, « celles » en l’occurrence, m’inspirent oui. De vraies passionnées, à l’écoute et qui n’ont de cesse d’aller de l’avant pour faire des découvertes. Une team au top !
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